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Dijon, Auditorium, 14 janvier 2014, par Eusebius ——

Un autre Rameau… N'a-t-on pas gagné au change ?

Christophe Rousset

Dijon, patrie de notre  célèbre Rameau, se devait d'honorer le 250e anniversaire de sa disparition. Les Surprises de l'Amour, opéra-ballet, qu'ont enregistré récemment Sébastien d'Hérin et une belle brochette de solistes (Amel Brahim-Djelloul, Virginie Pochon, Karine Deshayes, Jean-Sébastien Bou, entre autres) devait en marquer le coup d'envoi. Las, la production a dû être remplacée au dernier moment par un riche programme de pièces orchestrales jouées par les « Talens Lyriques » de l'excellent Christophe Rousset.

Les abonnés qui avaient réservé cette soirée pour découvrir une œuvre rare ou pour  écouter Karine Deshayes auront pu être déçus. Quelle que soit l'admiration que j'aie pour ces solistes, je dois avouer ma perplexité. L'enregistrement qu'ils viennent de réaliser chez Harmonia Mundi (une première, si l'on ne tient pas compte de l'anthologie de Marc Minkovski) confirme  les faiblesses de l'ouvrage1, mais surtout celles de ce Rameau, aimable, futile, sacrifiant ici tout ou presque au divertissement2. La version de concert, promise, n'aurait pu qu'accentuer ces carences, focalisant toute l'attention sur la seule musique.

Aussi, les pages orchestrales substituées, qui justifient le titre (« Rameau, le génie de l'orchestre »), paraissent-elles davantage représentatives de l'œuvre de l'illustre Dijonnais. Le programme, très généreux, sans compter les deux bis, proposait de nombreuses pièces instrumentales de quatre œuvres majeures. 

Hippolyte et Aricie, tout d'abord. L'ouverture, d'une parfaite lisibilité, est jouée de la façon la plus tonique : Christophe Rousset excelle à relancer le discours, à accentuer les contrastes, à souligner de façon toujours vivante les articulations, le phrasé. Suivaient le prélude du 3ème acte et la chaconne finale.

Les divertissements seront davantage illustrés dans les Indes galantes, avec la variété des danses des quatre entrées, introduites par l'Ouverture, mais privées de la chaconne finale. On se souvient que Christophe Rousset fut assistant de William Christie pour un enregistrement mémorable, en 1991. La force, le dynamisme et la couleur sont au rendez-vous, l'orchestre brille de tous ses feux, tour à tour trépidant, rêveur, bondissant, jouant sur toutes les oppositions de timbres, d'intensité de rythme et de métrique.

Platée, sympathique parenthèse, permet à l'humour facétieux de participer à la fête.

L'orage, spécialité du temps, fait irruption, spectaculaire de ses traits rapides et du grondement de ses basses, interrompu par les passepieds et tambourins, pour reprendre de plus belle. L'inspiration populaire est proche, et la joie communicative des musiciens fait oublier les structures formelles simples, voire simplistes, héritées de la danse, qui lasseraient si l'inspiration des interprètes n'en renouvelait l'écoute.

L'ouverture de Castor et Pollux est d'une autre veine : un sommet, où le sol mineur préfigure d'autres tensions tragiques. L'écriture très travaillée pour la difficulté technique, l'orchestration complexe créent les tensions dramatiques, comme les moments de détente qui ponctuent l'action. Musique toujours riche qui juxtapose des divertissements, toujours soigneusement écrits, inventifs, renouvelés, et des pièces d'une dimension sans commune mesure, ouvertures et chaconnes, par exemple.

L'orchestre est superlatif, totalement engagé, fusionnel : cordes aériennes et robustes, virtuoses, hautbois clairs, basson bien présent, flûtes adorables, le tout conduit par un chef comme Rameau n'aurait osé imaginer, et auquel il est tant redevable !

Les talens lyriques

plume Eusebius
15 février 2015

(1) « Alors que la plupart des danses sont bonnes, les deux morceaux hors pair sont un chœur et une Symphonie du sommeil. Le chœur des cyclopes est d'une vigueur digne de son nom, quoique seule la tonalité rappelle la pièce de jeunesse pour clavecin sur le même sujet. Le sommeil d'Anacréon dans l'entrée de 1757 ne doit rien aux différents sommeils que Rameau avait déjà évoqués et il renouvelle ce thème si usé » (Girdlestone).

(2) « Tout ceux qui ont travaillé avec lui étoient obligés d'étrangler leurs sujets, de manquer leurs poemes, de les defigurer, afin de lui amener des divertissements, il ne vouloit que cela… » [Charles Collé, cité par Thomas Soury ; Louis de Cahusac, librettiste et théoricien : un collaborateur majeur à l'œuvre de Rameau, in RMie tome 99 (2013) n°1, p.33-60]. Excellente contribution dont nous recommandons la lecture.


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