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Réville le 16 août 2013, par Alain Lambert ——

Sarah Savoy et Jean Pierre Bruneau à la « soirée cajun » en ouverture des « Traversées Tatihou »

Autour de 1760, à Cherbourg, plusieurs navires ont rapatrié d'Angleterre des réfugiés acadiens déportés lors du « grand dérangement » de 1755, cette déportation massive des colons français (bretons, normands, poitevins...) d'Acadie inventée par les anglais pour accélérer la conquête des provinces françaises du Canada, et qui se terminera par la chute de Québec, de Montréal et de la Nouvelle-France cette même année.

Certains se fondirent dans la population locale (j'ai essayé de le raconter dans mon roman La lettre de sable paru chez Isoète en 2012). Mais la plupart, comme ceux déportés le long des côtes américaines, déracinés, reprirent leur errance vers une nouvelle Acadie, qu'ils finirent par  découvrir dans la province française de Louisiane. Ils y devinrent des Cadiens, puis des Cajuns dans la prononciation créole, une fois la province vendue en 1804 aux Américains par Napoléon, un îlot de français et de musique métissée  pour une population, pas forcément riche ni blanche, ni protestante, ni anglo-saxonne.

C'est donc au cinéma de Réville, à une trentaine de kilomètres de Cherbourg, et tout près de l'île de Tatihou, que se tenait cette soirée d'ouverture des Traversées 2013, ces concerts de musique du monde et du large où il faut gagner l'île à marée basse pendant les grandes marées pour pouvoir en profiter, à l'ombre de la Tour Vauban, presque contemporaine du drame raconté plus haut.

Deux documentaires de Jean Pierre Bruneau, Dedans le sud de la Louisiane et Louisiana Blues, vieux de 40 et 20 ans déjà (disponibles en DVD) racontent cette communauté francophone cajun et créole, sa musique, son histoire et son évolution, avec des témoignages musicaux rares, en particulier un extrait de concert de Clifton Chénier, le promoteur du blues zarico ou zydico à l'accordéon cajun, disparu en 1987 (à l'affiche du premier film).

Pendant l'entracte, Sarah Savoy, qui avait animé un atelier cuisine l'après midi, nous a joué quelques  morceaux cajuns accompagnée de deux musiciens, en direct, avec une grande énergie. Elle est issue d'une famille cajun très impliquée, un père facteur d'accordéon, une mère historienne et un frère musicien lui aussi.

sarah savoy et laurent bruneauSarah Savoy à Réville. Photographie © Thierry Houyel .

Pourtant, quarante ans plus tard, si la musique cajun, folk, blues ou rock, est reconnue en Amérique et en Europe comme une réalité culturelle, et un mode de vie, de ce petit peuple francophone, la langue français, parlée encore par 300 000 personnes dans les années soixante dix, est en voie de disparition, avec l'américanisation massive des jeunes générations. Et quand certains enfants apprennent le français,  c'est avec des profs français ou québécois qui leur transmettent un français académique sans rapport avec le vieux français de leurs grands parents. Jean Pierre Bruneau m'a raconté que, curieusement, c'est une tribu amérindienne près de Houma, en pays cajun, qui parle le mieux français actuellement, car, après la perte de son parler ancestral, cette langue lui permet de résister et d'affirmer son identité.

Une soirée passionnante donc, pour les amateurs de musique et les autres, qui s'est déroulée dans une chaleur digne des bayoux. Heureusement, un verre de cidre cotentinais et un morceau des tartes à la patate douce et à la cannelle, concoctées par l'atelier cuisine cajun, nous attendaient à la fin.

Longue vie donc à la musique cajun, à Sarah Savoy, à Clifton Chenier jr, à  Zydeco Joe et à tous les autres, sans oublier le grand Zachary Richard.

Quant aux Traversées proprement dites, elles commencent mardi 20 par  une soirée consacrée aux musiciennes , avec un double concert, ukrainien et québécois, sur l'île (si vous ne pouvez pas marcher, rassurez vous, vous pouvez prendre le bateau amphibie !). Puis trois jeunes californiennes joueront le répertoire cajun, justement, sous chapiteau sur le port de Saint Vaast à 21h.

Le vendredi sur l'île, on pourra entendre Dominique Dupuis, une violoniste acadienne, pour rester dans la thématique de la soirée.

Seul le concert celtique sur l'île, jeudi, est complet à ce jour. Voir le programme sur le site du Conseil Général de la Manche  pour en savoir plus sur les différents groupes invités jusqu'à samedi.

A noter une scène ouverte vendredi et samedi après midi sur le port de Saint Vaast, et dans les bars aussi, avec des groupes locaux bien plus qu'amateurs, et qui méritent le détour :

Magène le vendredi 23 à 15h avec ses textes poétiques en langue normande,  la présence et la voix de Théo Capelle.

Les Marins du Cotentin, à 17h le samedi 24, moins sponsorisés et formatés que d'autres...

Les Femmes de Marins et leur humour décalé au bar la Marina le même jour à 21h.

Et la Loure, la mémoire musicale de la région normande, accompagne les spectateurs sur le chemin découvert par la marée lors des traversées à pied du lundi et du mardi.

Alain Lambert
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