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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— III. Le temps de Bach.

Les œuvres profanes pour orgue de Johann Sebastian Bach

Johann Sebastian Bach

Dans les pièces pour orgue de Bach, les œuvres profanes, du moins si l'on entend par là celles qui se situent ouvertement en dehors de tout contexte spirituel, se limitent à deux séries de pièces : les cinq concertos pour orgue et les six sonates en trio. C'est peu, mais ce sont là des œuvres d'un intérêt majeur, dont le caractère avenant ne peut que séduire le simple amateur, et où les oreilles plus expertes trouveront encore beaucoup de sujets d'émerveillement.

Les cinq concertos pour orgue

Au cours de son séjour à Weimar, Bach eut l'occasion de se plonger dans l'étude de la musique italienne, et notamment de connaître tout un répertoire de concertos vénitiens qui, semble-t-il, connaissaient alors un beau succés en Allemagne. Il fut visiblement séduit par « la clarté de leur construction formelle, l'élégance de leurs lignes mélodiques, la simplicité lumineuse de leur harmonie »39, au point de se laisser aller à en transcrire un certain nombre pour un seul instrument, orgue mais aussi — et surtout — clavecin.

Dans les cinq (BWV 592 à 596) qu'il transcrivit pour l'orgue, la surprise vient de la présence de deux originaux de style italianisant, certes, mais dus à la plume d'un jeune musicien allemand, le duc Johann Ernst de Saxe-Weimar, neveu de l'employeur de Bach, que celui-ci avait pris en amitié. Bien que séduisants, les deux concertos correspondants écrits par notre musicien (BWV 592 en sol majeur et BWV 595 en ut majeur), dont le second se réduit à un unique mouvement, ne suscitent pas le même intérêt que les trois autres où Bach est allé puiser chez Vivaldi : le superbe BWV 593 en la mineur, sans doute le plus populaire de la série, issu de l'opus 3 no8 (Estro armonico) du Vénitien ; le magnifique BWV 596 en mineur, le plus parfait du lot, tiré il est vrai d'un des plus beaux concertos (le no 11 pour deux violons et violoncelle) du même Estro armonico ; et, un peu en retrait malgré un très beau second mouvement, le BWV 594 en ut majeur dont la matière première — l'opus 7 no 11 du prêtre roux — semble bien avoir plus embarrassé que réellement inspiré le génial transcripteur.

Car, malgré cette légère déception, on reste sidéré par la façon dont Bach s'approprie ces œuvres et, tout en restant respectueux des originaux, les enrichit à travers diverses variantes harmoniques ou contrapuntiques ou certains procédés d'ornementation, tout cela pour aboutir à des œuvres dont on croirait qu'elles étaient destinées à l'orgue dès leur conception première.

Concerto en mineur BWV 596, par André Isoir, Abbatiale de Saint-Cyprien en Périgord.

Les six Sonates en trio

« Les six sonates en trio BWV 525 à 530 sont sans aucun doute parmi les œuvres les plus allègres, les plus lumineuses et les plus divertissantes que Bach ait jamais écrites ; néanmoins, l'absence d'un véritable style d'orgue est évidente dans ces compositions qui emploient les trois mouvements vif-lent-vif du concerto à l'italienne et proviennent presque certainement d'œuvres de musique de chambre en trio. Bach dut sans doute achever ces sonates vers 1729-1730, mais il semble qu'il ait commencé ce travail beaucoup plus tôt. »40

Une fois de plus, les informations précises font défaut s'agissant de retracer le calendrier de la production du compositeur, mais il paraît clair que ces œuvres furent mises en forme quelques années après l'arrivée de Bach à Leipzig, car, selon un témoignage solide recueilli plus tard auprès de Carl Philipp Emanuel Bach, le Cantor les écrivit dans ces années-là pour son fils aîné Wilhelm Friedemann, apparemment en tant qu'exercices destinés à en faire un grand organiste.

Il est vrai que cette écriture en trio, fabuleusement ciselée, où les trois parties — une pour chaque main, la troisième au pédalier — jouent en contrepoint serré, passe pour être une redoutable épreuve de virtuosité pour l'organiste. À cet égard, que Bach ait, comme on l'a cru parfois, conçu ces sonates avec l'idée qu'elles puissent être travaillées sur un clavecin à pédalier, ne change rien à l'affaire. Même si l'hypothèse est hautement plausible, nous savons par un autre témoignage de Carl Philipp Emanuel que le compositeur les destinait vraiment à l'orgue, ce qui se défend d'autant plus que, par sa richesse de coloration, cet instrument est idéal pour différencier chacune des trois voix.

Même si ces « sonates » n'ouvrent en rien la voie à la sonate classique — leur construction reste en effet « typiquement baroque, tout droit venue du concerto italien, avec ses alternances de tutti et de solos, et ses reprises en da capo »41 —, elles nous offrent une pléthore de beaux et grands moments, dont le point culminant se situe certainement dans la sonate no 5 en ut majeur BWV 529 et tout particulièrement dans son Largo central, « l'une des plus émouvantes méditations de toute l'œuvre de Bach, l'une des plus personnelles, aussi […] avec ses décharges affectives éplorées, ses silences, ses désinences résignées, ses chromatismes trahissant une lente et douloureuse ascension vers la lumière… »42  Un climat qui, on s'en doute, est loin d'être dominant dans ces œuvres souvent aussi alertes qu'avenantes, où on sent presque physiquement que le compositeur s'est délecté en les écrivant.

À propos de ces sonates, Gilles Cantagrel fait observer que « l'équilibre est ici miraculeux entre l'effusion de la poésie lyrique et la densité de la pensée formelle, réunies en des mouvements de danse et de mélodie quasi vocale. »43 Sans doute est-ce aussi pour cela que ces œuvres réunissent tous les atouts pour enchanter les publics les plus divers.

Sonate en trio en ut mineur BWV 526, I. Vivace, par André Isoir, orude d' Esch-sur-Alzette.
Sonate en trio en ut majeur BWV 529, I. Allegro, Helmut Walcha, église Saint-Pierre-le-Jeune Protestant de Strasbourg.
Sonate en trio en ut majeur BWV 529,II. Largo, par Kay Johannsen.

Notes

39.  Cantagrel Gilles (dir.) Guide de la Musique d'orgue. « Les indispensables de la musique », Fayard, Paris 2003, p. 137.

40.  Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (199) mai 1996.

41.  Cantagrel Gilles (dir.), op. cit., p. 140.

42.  —, Ibid. p.142.

43. —, ibid., p.140.

Michel Rusquet
2013
musicologie.org


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