Après Lady Sarashina de Peter Eötvös en 2009, Les Boulingrin d'Aperghis en 2010 et le très réussi Cachafaz d'Oscar Strasnoy, la saison dernière, Re Orso est la troisième œuvre contemporaine présentée sur la scène de l'Opéra Comique depuis l'arrivée de Jérôme Deschamps à la direction, la quatrième si l'on compte la reprise du Roméo et Juliette de Pascal Dusapin en 2008. Il s'agit d'une authentique création mondiale qui a bénéficié d'importants soutiens, celui de l'État français, du Théâtre royal de la Monnaie qui sans doute le reprendra ainsi que de l'IRCAM et de l'Ensemble intercontemporain qui sont également commanditaires de l'œuvre, sans compter la participation d'un couple de mécènes.
Re Orso, Opéra Comique, Paris mai 2012 © Elisabeth Carecchio.
Pourtant, il faut bien le dire, malgré un important déploiement de moyens tant musicaux que scéniques, le résultat déçoit un peu. D'abord peut-être et surtout théâtralement. Cette « favola musicale », conte horrifique dû à la plume d'Arrigo Boito (1865) qui met en scène la vie et la mort, les exactions et les remords d'un tyran de légende — le Roi ours — ne parvient guère susciter d'écho dans nos sensibilités contemporaines, malgré les protestations des auteurs qui dans leur note d'intention insistent beaucoup sur la dimension politique du propos. La dramaturgie du livret, malgré la sollicitude du metteur en scène qui tente à grand renfort de scènes illustratives et grâce à la participation de comédiens d'animer le plateau reste essentiellement un récit épique dont n'émergent aucun véritable personnage, aucune situation vraiment stimulante. Le poème sans doute possède sa beauté propre et un certain potentiel lyrique mais le livret de Catherine Aillaud-Nicolas et de Giordano Ferrari échoue à le transformer en véritable pièce de théâtre. Le résultat fait la preuve par la négative que sans un bon livret ou plutôt sans un authentique propos doublé d'un rapport sensible entre le compositeur et la donnée littéraire de l'œuvre, il n'y a pas d'opéra possible.
Re Orso, Opéra Comique, Paris mai 2012 © Elisabeth Carecchio.
La partition de Marco Stroppa dénote beaucoup de métier et de culture mais peu de réelle originalité. L'utilisation d'un dispositif électronique très sophistiqué comprenant un travail de spatialisation, l'utilisation d'un piano robotisé et l'apparition finale d'un totem acoustique (excusez du peu !) permet certes de donner une certaine profondeur à la partition mais associée à l'amplification des voix, à une invention mélodique limitée, à une approche très scholastique de la composition musicale, elle conduit à un objet musical lisse, fermé sur lui-même qui ne touche jamais et génère un sentiment de monotonie que rompent seulement quelques événements extra-musicaux comme la mutinerie des musiciens qui à la fin de la première partie quittent un à un la fosse pour venir se mêler au délire orgiaque qui saisit le plateau.
Re Orso, Opéra Comique, Paris mai 2012 © Elisabeth Carecchio.
Ce qu'il y a de meilleur a un petit air de déjà entendu chez les plus grands comme Ligeti ou Aperghis et la partition semble une sorte de synthèse des grands courants du théâtre musical du 20e siècle. L'accordéon qui vient conclure l'œuvre après une deuxième partie entièrement en sons électroniques, semble emprunté à celui des Trois Sœurs de Peter Eötvös sans en avoir la portée émotionnelle. Le concert de sonneries de portables qui se déclenche pendant le prologue semble la seule touche d'humour de toute l'œuvre et rappelle singulièrement la fanfare de klaxons qui ouvre Le Grand Macabre sans en avoir l'impertinence. Pris individuellement certains numéros possèdent une certaine beauté mais l'ensemble manque de rythme et de réelle tension dramatique et la petite heure trente que dure l'opéra paraît bien longuette.
Re Orso, Opéra Comique, Paris mai 2012 © Elisabeth Carecchio.
Quatre excellents chanteurs défendent cette partition vocalement exigeante. Monica Bacelli dans le rôle du Ver qui ronge la conscience coupable de Re Orso mérite une mention particulière de même que Marisol Montalvo dans celui d'Oliba, l'épouse contrainte du tyran. Il n'est pas sûr, malgré la réelle présence de Rodrigo Ferreira dans le rôle-titre que la tessiture de contre-ténor soit le meilleur choix pour donner un véritable relief au personnage.
Re Orso, Opéra Comique, Paris mai 2012 © Elisabeth Carecchio.
Les derniers mots du livret semblent plaider contre le traitement que lui a fait subir le compositeur : « Le véritable vainqueur n'est pas celui qui blesse, mais celui qui rit ! ». On ne rit guère ici mais on n'est pas vraiment blessé non plus. Une œuvre où la vie et l'humain ne passent pas reste finalement un artefact.
Frédéric Norac
21 mai 2012.
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