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Jean-Marc Warszawski 2007

Arom Simha & Alvarez-péreyre : Précis d'ethnomusicologie

AROM SIMHA & ALVAREZ-PÉREYRE, Précis d'ethnomusicologie.
(Hors collection), CNRS Édition, 2007 [244 p. ; ISBN 978-2-271-06502-5 ; 18 ]

On ouvre ce livre avec la satisfaction de tenir, enfin, en mains, un manuel d'ethnomusicologie, mais quand on le referme, on se demande ce qu'on y a appris.

D'entrée, les auteurs semblent fonder leur démarche,  sur une courte histoire des différentes « écoles », pensant peut-être que cela poserait leur objet. Malheureusement, on a du mal à cerner les problématiques fondamentales, ce qui a motivé des folkloristes, des musiciens, des musicologues, des savants, pour partir à la rencontre de la musique des simples. Comment, à partir d'activités aux motivations et techniques si diversifiées, une science a-t-elle pu être constituée ? Qu'en attendaient-ils ? Qu'imaginait-on dans les années 1900, qui glorifièrent la nature, la pureté de la vie paysanne, contre la corruption des villes et des ensembles industriels ? Pourquoi « ethnomusicologie », évoque de suite la collecte des musiques paysannes, ou exotiques, voire des relations avec le passé lointain, avec l'idée de source originale, et non pas, par exemple, l'étude les chants ouvriers ? La musique techno et les conduites qui y sont liées ?

On ne s'attarde pas dans ce livre sur ce qui devrait le fonder : qu'est-ce une ethnie ? Où commence l'autre, comment le définit-on ? Comment se résout la subtile relation, qui fait que, quand on observe l'autre dans son milieu, on est justement soi-même l'autre ? Que vaut cette observation quand l'autre, observé par l'autre, ne se conduit pas comme il le ferait avec ces autres, dans lesquels il se reconnaît comme le même ? N'a-t-on pas tendance, sous prétexte que c'est l'autre, à ne chercher que l'autre ? De ne pas considérer le même ? Comment évaluer la perturbation que l'ethno(musicologue), crée dans le milieu qu'il observe ?

Tout le monde, autre, est autre de soi-même. Quels sont donc les critères employés pour déterminer l'autre, autre, si je peux dire, celui qui tombe dans le domaine de l'ethnique autre que le sien propre ? Quelles sont les frontières et où sont-elles ? En quoi une polyphonie pygmée est-elle plus ethnique qu'une symphonie de Mozart ? Y a-t-il ici plus de différences qu'entre la même symphonie de Mozart et une Gymnopédie d'Erik Satie ? Ou entre un plain-chant du XIe siècle et la Sonate pour piano de Pierre Boulez ? Pourquoi certaines régions relèveraient-elles de l'ethnique, et pas d'autres ?

En quoi la distinction musique écrite / musique non écrite peut-elle tracer la frontière entre une musicologie qui serait « générale » et une musicologie qui serait ethnique ? D'autant que cela ne recouvre pas cette autre distinction, également avancée, qui discrimine musique savante et musique populaire, dont il faudrait, là encore, discuter la pertinence. Il existe des musiques savantes non écrites, et des musiques populaires écrites.

Bien entendu, il semble, au premier abord, évident, qu'on n'utilisera pas les mêmes techniques, pour tenter de donner sens, dans le domaine des connaissances, avec une polyphonie pygmée ou une symphonie de Mozart. Dans ce cas, on peut travailler avec des documents et la partition, sur une table de bibliothèque ; dans l'autre il faut documenter sur place. Mais pourquoi un musicologue, ne pourrait-il choisir d'étudier la polyphonie pygmée, sans pour autant devenir ethnomusicologue, même s'il va chercher chez les ethnologues un complément de connaissances ou de formation, même s'il devient ethnologue et musicologue ? On nous présente ici l'ethnomusicologie comme une science hybride : une science peut-elle être ainsi hybride ? Qu'y perdent, en soi, la musicologie, l'ethnologie ?

Paradoxalement, l'ethnomusicologie, qui se présente ici comme une spécialité de la musicologie en général, devant répondre à des spécificités plus pointues, regroupe des aires d'étude extrêmement hétérogènes, du vocal à l'instrumental, du religieux au profane, de tous les continents, au point qu'on pourrait se demander si cette ethnomusicologie ne serait pas en fait une musicologie générale, et la musicologie générale, une musicologie ethnique du petit Occident savant, sinon, sa tradition musicale intellectualisante.

Faute d'attaquer frontalement ces questions, et certainement d'autres, au profit d'une simple évocation d'une musicologie de « l'exotisme et de l' « autre », sans autre procès critique, les auteurs sont réduits, d'une part, à présenter, d'après leur pratique africaine, un guide, succinct, d'approche des populations, où l'on trouve les évidences de quelques conseils pratiques, pour une conduite touristique moyenne respectueuse. D'autre part, ils sont peu convaincants quand, tout au long du livre, ils affirment la spécificité de l'ethnomusicologie par rapport à une musicologie dite générale, dont on ne sait pas si elle existe ou si elle est à venir, puisqu'on espère pouvoir participer à son élaboration.

Mais au centre, est un principe erroné, ceci expliquant peut-être cela. En effet, tout le livre est articulé autour de l'idée que la musique serait un langage, au sens linguistique du terme, et les sons des signes. Or, si le langage articulé est un système de signes (ce qui, tel que formulé se discute), il n'est pas dit que tout système de signes soit un langage, dans la mesure où l'on consent à considérer les sons comme des signes, car la musique est une architectonique de sons, pas un système de signes. Il n'y a pas, en réalité de sémiotique en musique, même si, dans certains cas particuliers, des sons sont employés comme signaux : les cloches, les sonneries de trompette militaire, ou de trompe de chasse, le morse, les messages tambourinés d'Afrique, etc. Mais tout cela se rapporte à un langage articulé, ou à des conventions, assignées par le langage articulé. C'est une esthétisation de symboles déjà existants. Ce ne sont pas là les sons qui disent, ce sont des sons auxquels on a fait dire.

L'appauvrissement de la notion de langage à un seul de ses aspects, un système de communication par signes entre un locuteur et un auditeur, au lieu de la considérer comme une socialisation rationnelle des besoins et capacités d'expression, dont les couches les plus profondes sont affectives et problématiquement existentielles, a tendance à en faire une représentance du réel, et en cela, un avatar de la phénoménologie.

De fait, ce livre ne sort pas des limites de la description distante, illusion littéraire de l'objectivité qu'on prête à la démarche scientifique, mais encore on tend à y présenter l'ethnomusicologie comme une science descriptive, dont le problème serait celui de la pure observation phénoménologique, mise en représentation pas le langage. Or, le monde nous dit des choses, que si on l'interroge, c'est-à-dire que si l'observation est motivée par des problématiques, par un engagement idéologique, un point de vue. De la même manière, un langage qu'on comprend, est un langage qui problématise, qui demande un engagement réflexif de la part du lecteur. C'est ce qui est malheureusement absent dans ce livre.

à vous de voir

Jean-Marc Warszawski


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