Placido Domingo, direction musicale. Photographie © DR.
À rebours de la chronologie, l'Opéra de Monte-Carlo a choisi, vendredi 25 octobre, d'ouvrir sa saison lyrique avec deux œuvres, dissociées par la seconde guerre mondiale, du compositeur et librettiste lombard Gian Carlo Menotti : en première partie, « The Telephone » ou « l'Amour à trois » créé au Heckscher Theater de New York le 18 février 1947 suivi, après l'entracte, de « Amelia al Ballo » jouée le 1er avril 1937 à l'Académie de musique de Philadelphie. Deux courtes pièces — la première dure trente minutes, la seconde une petite heure — où la vivacité des dialogues et le dynamisme de l'action se substituent à la maigre intensité dramatique.
Si « Amelia al ballo » raconte l'obsession d'une jeune femme de la haute bourgeoisie milanaise d'aller au « premier bal de la saison », jusqu'à en trahir mari et amant, « The Telephone » annonce, avec une vision quasi prophétique des pathologies modernes du lien et de l'attachement aux smartphones, l'immixtion sans partage de ce moyen de communication au sein du couple. Malgré l'acuité visionnaire du message, il est difficile de ne pas penser à « La Voix humaine » tragédie en un acte sur un livret de Jean Cocteau de Francis Poulenc, donnée à l'Opéra Comique en février 1959 et jouée l'Opéra de Nice en octobre 2011 : ouvrage d'une tout autre dimension musicale, vocale et surtout d'une épaisseur psychologique plus marquée. Douze ans séparent seulement les deux opuscules.
Saluons les efforts, créatifs et compensateurs de la minceur allégorique des récits, de la mise en scène signée Jean-Louis Grinda, des décors simples mais efficaces de Manuel Zuriaga, des costumes de José Maria Adame et des lumières — parfois un peu déroutantes dans leur brusque succession — d'Antonio Castro.
The Telephone. Aldo Heo (Ben) et Micaëla Öste (Lucy). Photographie © Opéra de Monte-Carlo.
Longuement ovationné par le public et les musiciens de l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo dès son entrée dans la fosse, le ténor, devenu baryton, Placido Domingo s'empare de la partition avec une gourmandise artistique — et un inimitable sourire bienveillant — qu'il n'éprouve aucune difficulté à partager avec le plateau et l'audience. L'investissement du maestro est profond, fervent, presque insondable mais sa minutie dans l'exécution révèle, comme la couleur rehausse dans l'aquarelle le relief de l'esquisse, une attention maitrisée des nuances : en témoignent la voix instrumentale des gémissements du téléphone ou la magnifique ouverture de « Amelia ».
Dans son émission « Changez de disque ! » du jeudi 24 octobre sur France Musique, Emilie Munera ne tarit d'ailleurs pas d'éloges sur la dernière « Intégrale Verdi » de Placido Domingo (6 opéras, 12 CD) parue récemment chez Sony Classical.
The Telephone. Aldo Heo-(Ben) et Micaëla Öste-(Lucy). Photographie © Opéra de Monte-Carlo.
Un relatif contraste concerne en revanche la distribution : le rôle de Lucy, part essentielle dans « The Telephone », appelle une luminescence enjouée, un éclat particulier de la voix que la soprano d'origine allemande Micaëla Öste atteint irrégulièrement. Ses notes graves sont souvent rentrées et obligent l'auditeur à regarder la transcription sur le panneau pour savoir ce qu'elle chante. Son partenaire coréen, le baryton Aldo Heo (Ben) s'en sort mieux dans les brèves évocations de son dépit amoureux.
Amelia al ballo. Norah Amsellem (Amelia). @ Photographie Opéra de Monte-Carlo.
Le déroulement « dramaturgique » de « Amelia al ballo » offre une plus large palette de registres vocaux. Dans le rôle de « Amelia », Norah Amsellem, emporte la conviction même si son articulation du vocable italien, dont nous avions déjà souligné les faiblesses dans une « Traviata » entendue au Deutsche Oper de Berlin en janvier 2013, ne s'est pas foncièrement améliorée. Très à l'aise sur la scène, la soprano française fait par ailleurs entendre de belles envolées aiguës et claires, notamment dans sa superbe prière « Les heures s'envolent, Ô ciel ! » qu'il semble toutefois exagéré de vouloir comparer au « Vissi d'arte » de Tosca dont l'histoire du livret prétend s'inspirer. Interprétant, sans le surjouer comme sa partenaire féminine, son époux cocufié, le baryton chilien Javier Arrey force l'admiration par la puissance vocale et bien projetée, de sa jalousie. Nous avions déjà eu l'occasion de relever le talent d'un jeune ténor roumain Ioan Augustin Hotea, lauréat du « Prix spécial Verdi » offert par l'Ambassade d'Italie dans le cadre du bicentenaire de la naissance du compositeur lors du Grand Prix de l'Opéra National de Bucarest. Dans « Amelia », il campe, scéniquement et vocalement, un magnifique lover narcissique et ténébreux dont la romance lyrique « Fu di notte » sur la genèse de sa passion pour « Amelia » mérite d'être complimentée.
Amelia al ballo. Norah Amsellem (Amelia). Photographie © Opéra de Monte-Carlo.
Sur les vingt-cinq opéras de Gian Carlo Menotti, décédé à Monaco le 1er février 2007, « The Telephone » et « Amelia al ballo » donnent à entendre la série « light » de ses œuvres intégrant un curieux mélange de néoromantisme mêlé d'american musical comedy — l'influence probable de son compagnon de plus de trente ans Samuel Barber — et d'opera buffa propre à son italianité à laquelle celui qui entra à treize ans au conservatoire de Milan, ne renoncera jamais.
Amelia al ballo. Norah Amsellem (Amelia) et Javier Arrey (Le-Mari). Photographie © Opéra de Monte-Carlo.
Nice, le 26 octobre 2013
Jean-Luc Vannier.
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Dimanche 24 Mars, 2024