Bérénice Collet et son équipe ont su rendre avec beaucoup de sobriété et d'imagination ce suspense quasi cinématographique qui fait alterner l'appartement des proscrits et la salle d'attente du consulat où vient chaque jour attendre son tour toute une galerie de personnages pathétiques et désespérés, tyrannisés par une secrétaire pète-sec. Le mélange de réalisme et de rêve est parfaitement réussi avec un minimum d'éléments scéniques, quelques recours très sobres à la vidéo et une excellente direction d'acteurs, et ménage avec maestria la montée en puissance de l'œuvre vers sa fin tragique.
La musique de Menotti oscille entre réminiscences pucciniennes pour les aspects lyrique et un néo-classicisme à l'orchestration raffinée qui évoque tantôt Poulenc, tantôt la musique de film hollywoodienne de l'époque, dans ce qu'elle avait de meilleur et de plus créatif. De remarquables ensembles — trio au premier acte, quintette au second — de très beaux chœurs, de splendides interludes symphoniques, une construction au dramatisme prégnant, tout cela, porté par la direction précise et engagée d'Inaki Encina Oyon, à la tête de l'orchestre Pasdeloup en très grande forme, nous révèle un compositeur de premier plan, injustement ignoré.
La distribution est dominée par la Magda poignante de Valérie Maccarthy, aussi convaincante scéniquement que vocalement, mais l'ensemble de la distribution jusqu'au plus petit des 11 rôles, ne mérite que des éloges. On citera parmi eux le « détestable » agent de la police secrète de Nicolas Rigas que le public « chahute » gentiment au rideau, la secrétaire plus vraie que nature de Béatrice Dupuy, le pathétique Monsieur Kofner d'Aurélien Pernay et la Mère bouleversante de Joëlle Fleury. En fin librettiste, Giancarlo Menotti a su introduire dans cet univers noir un moment de folie joyeuse qui fait paraître d'autant plus terrible le dénouement. C'est la scène burlesque du magicien à la fin de l'acte II. Le ténor Artavazd Sargsyan s'y risque dans un brillant numéro de prestidigitation, bluffant de virtuosité, autant que l'est le contre-ut tenu qui conclut ce moment de délire remarquablement orchestré. Au final on comprend pourquoi cette œuvre aussi originale qu'efficace a pu recevoir le prix Pulitzer de musique à sa création. On comprend un peu moins pourquoi elle est ignorée des scènes lyriques et on l'on remercie le courageux Théâtre d'Herblay — à la programmation décidément très originale - de nous l'avoir restituée.
Prochaine représentation le 5 juin. Reprise à l'Athénée-Théâtre Louis Jouvet à Paris, du 8 au 12 octobre 2014.
Frédéric Norac
25 mai 2014
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mardi 19 Mars, 2024