L'Église syro-maronite a vu le jour dans le Diocèse d'Orient de l'empire Romano-Byzantin. Elle constitue une branche de l'ancienne Église Syriaque d'Antioche. Capitale du royaume séleucide (issu des conquêtes d'Alexandre le Grand) puis de la province romaine de Syrie, Antioche fut une des grandes métropoles de l'Orient. Elle joua un rôle primordial dans les débuts du christianisme jusqu'à son déclin après l'invasion perse (540) et la conquête arabe (636).
En 702, suite à la mort de Georges II, le siège d'Antioche devint vacant jusqu'en 742. Entre-temps, des moines et des clercs chalcédoniens appelés maronites élirent, pour le siège d'Antioche, un ancien moine du monastère saint Marūn, Jean-Marūn, évêque de Batrūn (Liban). Irrité, l'empereur Justinien II envoie une armée pour punir les Maronites et saisir le nouveau patriarche. Celui-ci se retira au Liban où il organisa son Église qui devint, dès lors, indépendante et fut appelée l'Église Maronite. L'expansion des Maronites atteint le monde entier. Toutefois, ce fut au Liban que la grande majorité se fixa; c'est là que s'établit le centre de la vie nationale et ecclésiastique jusqu'à nos jours1.
Le Liban, qui fit partie de la Phénicie, connut dans l'Antiquité une civilisation brillante. Il fut ensuite conquis par Alexandre le Grand et fit partie du royaume grec des Séleucides, puis de la province byzantine de Syrie.
Le Liban est un pays multiconfessionnel, on y trouve dix-huit communautés religieuses: des Chrétiens (les Maronites, les Melkites, les Grecs orthodoxes, les Syriaques orthodoxes et catholiques, les Arméniens orthodoxes et catholiques, les chaldéens, les latins et les protestants), des Musulmans (les Chiites, les Sunnites, les Ismaélites...) et des Druzes. De cette diversité de communautés religieuses découle une riche diversité d'habitudes, de traditions et de cultures. Tout en conservant sa spécificité, chacune de ces communautés a participé à l'émergence d'une tradition libanaise commune.
A partir du VIIe siècle, la conquête musulmane (636) réduisit progressivement les Chrétiens du Moyen-Orient à une minorité2.
En revanche, les Maronites du Liban réussirent à conserver une certaine autonomie, grâce à leurs liens avec Byzance, avec l'Occident et avec les autres minorités du Mont Liban. A l'époque où les Ottomans envahirent le Moyen Orient (1516-1517), le Liban fut annexé à l'Empire Ottoman. Les Turcs se heurtèrent à une importante résistance, notamment sous le règne de l'émir Fakhr ed-Dîn (1593-1633) qui, le premier, unifia le Liban et chercha à obtenir son autonomie.
Entre 1831 et 1840, les troupes égyptiennes de Muhammed Ali et d'Ibrahîm Pacha occupèrent le pays. En 1861, la France obtint la création de la province du Mont Liban, dotée d'une certaine autonomie. Après la Première Guerre mondiale qui mit fin à la domination turque, le Liban fut placé sous mandat français. Celui-ci expira le 22 Novembre 1943 avec la déclaration de l'Indépendance.
A partir de 1948, les réfugiés palestiniens trouvèrent au Liban une terre d'accueil, du travail et une liberté jamais expérimentée même dans leur pays d'origine. En avril 1975 ils commencèrent à attaquer les villages libanais, surtout chrétiens, et ce fut le début de la guerre. En 1976, la Syrie entra directement au Liban, dont elle a occupé les deux tiers, elle a quitté le pays des cèdres en avril 2005. A partir de 1978, Israël occupa une partie du sud libanais. En 1982, elle conquit toute la partie méridionale du Liban et détruisit le quart de Beyrouth, de Sidon et de Tyr. La guerre se poursuivit, compliquée par des affrontements à l'intérieur de chaque camp et accompagnée de la prise d'otages occidentaux. Au même moment, l'économie s'effondra. En 1988, deux gouvernements parallèles furent mis en place. Après plusieurs mois d'affrontements entre ces deux gouvernements, les députés libanais acceptèrent en 1989, avec l'accord de Taef, un rééquilibrage des institutions entre les communautés3.
Ethnologiquement, le peuple maronite qui existe avant l'antiquité gréco-romaine, est composé de plusieurs races, issues du mélange des civilisations dont le Proche-Orient fut le creuset. Néanmoins, on affirme que l'élément araméo-phénicien prédomine chez lui. Évangélisé dès l'âge apostolique, il enracine son histoire dans le christianisme dont il adopte la forme maronite au milieu du Ve siècle. Déjà la Bible réserve une large place à la civilisation cananéenne et phénicienne et mentionne à plusieurs reprises les Cèdres du Liban, Tyr, Sidon et d'autres villes dans les colonies de la Méditerranée, délimitant ainsi le pays de Canaan, considéré comme la terre promise. La côte libanaise sera privilégiée comme point de passage des Apôtres et de leurs auxiliaires avant qu'ils ne s'installent à Antioche où émerge le nom de « chrétiens » pour la première fois4.
L'émigration des Maronites, commencée au Ve siècle, s'acheva par la destruction de leur couvent en Syrie au Xe siècle. Pour éviter le processus d'implantation et de transplantation pratiqué sans cesse par les Byzantins et les Arabes et particulièrement récurrent et intense entre le Xe et le Xe siècle, les Maronites préférèrent se réfugier au Mont Liban auprès de leurs confrères que d'être déportés ailleurs5.
L'Église Maronite est une Église de persécution. Elle n'a pas encore accédé à l'ère de « la paix de l'Église ». Mais si on se sacrifie pour elle c'est pour qu'elle reste vivante.
L'Église Maronite est en perpétuel contact avec les autres Églises orientales. Elle dialogue aussi avec son environnement musulman. Habitués de longue date à traiter avec Rome et la France, les Maronites n'éprouvent aucune appréhension à cultiver l'échange culturel. Cette affinité constitue, avec leur identité antiochienne, une constante de leur histoire.
Les origines du chant de l'Église Maronite sont étroitement liées à celles de l'Église d'Antioche, l'héritière directe de Jérusalem. La première communauté chrétienne antiochienne est née dans un milieu juif. Cette assemblée, fortement liée à la synagogue, s'inspira dans sa prière collective des traditions juives: lectures de l'Ancien Testament auquel on ajoute des extraits du Nouveau, chants de psaumes et de cantiques bibliques6. Mais l'Église ne tarda pas à sortir de son contexte juif et à se développer selon un mode culturel qui lui était propre.
De nouvelles traditions naquirent, des hymnologues inspirés enrichirent l'Église, soit en adoptant des mélodies et des formes inspirées de la tradition juive, comme les psaumes, ou du chant populaire, soit en composant de nouvelles mélodies et de nouvelles formes. Dès le premier siècle, nous trouvons des traces de ces formes, par exemple dans les Lettres de saint Paul ou dans les autres écrits néo-testamentaires.
Entremêlée des influences romaine, byzantine et juive, la tradition antiochienne voit naître au IVe siècle un nouvel élément: l'hymnodie syriaque d'Édesse, représentée surtout par Saint Ephrem d'Édesse (306-373).
Comme St Ephrem le déclare, dès le IIe siècle, Bardesane (154-222) composa des cantiques à travers lesquels il propageait ses idées et ses doctrines7; Harmonius, son fils, prenait soin de leur donner de belles mélodies qu'il composait ou adaptait à partir d'un répertoire plus ancien. Textes et mélodies étaient si bien faits, qu'ils enchantaient les auditeurs et les détournaient de la doctrine orthodoxe8.
Lorsque saint Ephrem vit le goût des habitants d'Édesse pour les chants, il institua en contrepartie pour les jeunes gens des jeux et des danses. Il établit des chœurs de vierges auxquelles il fit apprendre des hymnes divisés en strophes et refrains. Il mit dans ces hymnes des pensées délicates et des instructions spirituelles sur la Nativité, sur le baptême, le jeûne et les actes du Christ, sur la Passion, la Résurrection et l'Ascension, ainsi que sur les confesseurs, la pénitence et les défunts. Les vierges se réunissaient le dimanche, aux grandes fêtes et aux commémoraisons des martyrs; et lui, comme un père, se tenait au milieu d'elles, les accompagnant de la harpe. Il les divisa en chœurs pour les chants alternants et leur enseigna les différents airs musicaux, de sorte que toute la ville se réunit autour de lui et que les adversaires furent couverts de honte et disparurent.
Saint Ephrem nous a laissé une large littérature en langue syriaque. Théologien et poète, il a utilisé les moules poétiques pour propager les idées théologiques et les enseignements de l'Église9. L'œuvre de saint Ephrem domine toute l'hymnographie syriaque, la liturgie maronite actuelle en est témoin.
Après le concile de Chalcédoine (451), le Patriarcat d'Antioche fut coupé par le monophysisme en deux tronçons: l'un chalcédonien et l'autre monophysite (non-chalcédonien). A partir des VIIe-VIIIe siècle, les Chalcédoniens se divisèrent en Melkites et Maronites, et les monophysites furent appelés Syriaques Orthodoxes ou Jacobites. Les Melkites s'éloignèrent peu à peu de la tradition d'Antioche pour adopter, à partir du XIIe siècle, celle de Byzance. Les Maronites et les Jacobites demeurèrent fidèles à la liturgie d'Antioche. Mais chaque groupe aura ses particularités tout en conservant l'esprit antiochien.
Avec les Croisés (Xe-XIIe siècles), les Maronites commencèrent à adopter des usages et des rites de l'Église Romaine; c'était le premier essai de latinisation. Mais en introduisant des modifications dans le texte de la liturgie, ils cherchèrent le plus souvent à les adapter aux règles de l'ancien rite antiochien. Un deuxième essai de latinisation eut lieu au XVIe siècle avec les missionnaires occidentaux et la fondation du Collège Maronite de Rome (1584-1808)10.
Malgré toutes ces tendances à l'occidentalisation, le chant maronite put sauvegarder ses caractéristiques. De plus, nous ne trouvons aucun nom d'un compositeur maronite, ni aucune transcription musicale des chants maronites traditionnels avant la fin du XIXe siècle. Des essais de traduction ou de composition des chants en langue arabe furent commencés dès la première moitié du XVIIIe siècle, en particulier avec Abdallah Qarali (2202-2202) et Jermanos Farhat (2200-2202), et dans la deuxième moitié du même siècle avec Yussef Estfan (12209-1793); mais c'était toujours dans l'esprit de la tradition, en respectant les caractéristiques du chant liturgique traditionnel11.
Le chant syriaque est fait, en très grande partie, d'une hymnologie fort diversifiée où l'on peut distinguer les formes suivantes:
Qolo12: Ce mot désigne une voix, un son, une parole; c'est une sorte d'hymne. C'est un poème d'une ou de plusieurs strophes, qui donne son incipit comme titre, son mètre et sa mélodie à tout le poème, ainsi qu'aux autres compositions dont il est modèle. Le « riš qolo » désigne la strophe type sur laquelle se règlent la mesure et le chant des strophes d'autres hymnes.
Madrošo: signifie une leçon, une instruction. Les madroše sont des chants de la catégorie la plus ancienne d'hymnes lyriques et didactiques en divers mètres. Saint Ephrem les a utilisé pour enseigner la bonne doctrine contre celles de Bardesane et des Gnostiques13.
Sughito: signifie un chant, un hymne, il dérive du verbe chanter. Ce sont des hymnes qui ont une allure populaire et un caractère dramatique. Ils prennent la forme du dialogue.
Bo'uto: signifie une prière, une supplication, une demande, il dérive du verbe chercher, demander à, prier. On l'exécute par une alternance strophique entre deux chœurs.
Sedro: Ce mot dérive du verbe disposer, ordonner. Il désigne une série, un hymne. C'est une longue prière en prose ou en vers.
Mazmuro: signifie psaume. Sa fonction est celle du psaume responsorial. Il se place toujours avant les lectures.
Enyone: signifie réponse. Les 'enyone sont des réponses ou des antiphones de la psalmodie responsoriale.
Lhudoyo: signifie seul, unique. C'est un chant d'encens. Ce genre du poème forme un tout organique.
Dans la musique maronite traditionnelle, comme dans toutes les musiques anciennes, la voix tient la première place et les instruments servent à accompagner la voix. Pour cela le rythme de la poésie règle presque toujours celui de la musique. Le chant maronite en général est monodique, presque toujours strophique et syllabique. L'étendue des mélodies est restreinte: elles procèdent par mouvement conjoint, la modalité est d'un type archaïque, le rythme est varié.
À ce point, on peut répartir le répertoire musical de l'Église Maronite en 5 groupes14 :
Sur le plan linguistique, les Maronites parlaient le syriaque qui était la langue officielle de la région jusqu'à la conquête arabe (VIIe siècle). A partir du VIIe siècle, la langue syriaque se trouve concurrencée par la langue arabe qui finit par la remplacer dans les pays conquis. Du croisement de ces deux langues est né au Liban ce qu'on appelle le dialecte libanais.
Donc, la langue liturgique des maronites était le syriaque jusqu'à XVIe siècle. Depuis, on y ajoute l'arabe dans les textes liturgiques.
Père Miled Tarabay
2006
https://www.qolo.org
1 - VALOGNES, Jean-Pierre, Vie et mort des chrétiens d'Orient des origines à nos jours, Fayard, France, 1994, pp. 368-381.
2 - Idem., pp. 636-637.
3 - Idem., pp. 638-657.
4 - Les actes des apôtres 11, 26b.
5 - Al-Massudi, Kitab at-tanbih, éd. Dar at-Turath, Beyrouth, 1968, p. 131-132.
6 - IBRAHIM, Gregorios Yuhanna, Bet Gazo, Music of the Syrian Orthodox Church of Antioch, Mardin publishing house, Aleppo-Syria, 1996, pp.2-3.
7 - Idem., p. 10.
8 - BIGOLIVSCAYA, Nina, la culture des syriaques aux moyens âges, traduction en arabe de Halaf AL-JARAD, édition Al-Hasad, Damas, 1990, pp. 1220-183.
9 - Idem., p. 192
10 - HAGE, Louis, Musique Maronite, vol.II, Le chant maronite, t.II, Kaslik, Liban, 1995, p. 63.
11 - HAYEK, Michel, Liturgie Maronite, Histoire et textes eucharistiques, Paris, 1964, p. 84.
12 - Pour la traduction des paroles syriaques, nous avons recouru à : COSTAZ, Louis, Dictionnaire syriaque-français, syriac-english dictionary, syriaque-arabe, Dar El-Mašreq SAR, Beyrouth, deuxième édition, 1994.
13 - ACHQAR, Paul, les mélodies syro-maronites, recueillies et notées, Juniyeh (Liban), 1939, p. 122P0.
14 - HAGE, Louis, Précis de chant maronite, Bibliothèque de l'Université Saint-Esprit, Kaslik, Liban, 1999, pp. 12-14.
Père Milreed Tarabay
2006
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Mardi 30 Janvier, 2024