La récente découverte d'une importante collection de
partitions (700 numéros) dans une annexe de la cathédrale
du Puy-en-Velay a intéressé Bernard Dompnier, historien à
l'Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Il a entre
autres organisé un colloque qui a été tenu du 25 au 27
octobre 2001 au Puy-en-Velay : Les maîtrises
capitulaires aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions
entre service d'Église et stratégies sociales. Le
présent livre rassemble les communications qui y ont été
prononcées par :
Frédéric Billiet ; Christophe Cazade ; Florence
Chappée ; Galliano Ciliberti ; Nathalie Da
Silva ; Gilles Deregnaucourt ; Nicole
Desgranges ; Bernard Dompnier ; Marie-Bernadette
Dufourcet ; Jean Duron ; Georges
Escoffier ; Thierry Favier ; Bernard
Girard ; Stéphane Gomis ; Sylvie Granger ;
Jean-Louis Jam ; Jean-Luc Le Cam ; Christophe
Leduc ; Philippe Lescat ; Philippe Loupès ;
Oscar Mazin ; Frédéric Meyer ; Maris-Claire
Mussat ; Simona Negruzzo ; François
Reynaud ; Joseph Scherpereel.
Les mots maîtrise ou psallette font
aujourd'hui penser à des institutions qui sont à la fois
école et ensemble de chant-choral. On les associe
alors assez facilement aux fastes liturgiques qu'on
connaît de l'ancien régime. Encouragé par la
propagation du point de vue des créateurs de la Schola
Cantorum au XIXe siècle, on croira sans peine que les
maîtrises constituaient aussi et en quelque sorte les
conservatoires de musique de l'ancien régime, dont la
Révolution aurait fermé les portes en 1790-1792 ;
d'autant que le passage par les maîtrises semble avoir été
une constante dans les biographies des musiciens du passé,
comme l'est aujourd'hui le passage par le Conservatoire.
Mais c'est là une traduction littérale passé-présent
peut-être trompeuse en partie.
L'ouvrage fait apparaître une institution ecclésiastique
originale, fondamentale pour le culte, inhérente à
l'organisation de l'Église, mais aussi pratique :
partout on forme, on entretient, on emploie des enfants de
chœur placés sous la direction d'un maître : ils sont
des professionnels de l'office, indispensables au
spectacle liturgique. Le principe est général, les
pratiques sont pragmatiques et diversifiées.
L'enfant de chœur ou petit vicaire est recruté vers
l'âge de 7-8 ans par annonce publique, par le
bouche-à-oreille, par connaissance, plutôt dans le
milieu de l'artisanat. Entrer dans le monde
ecclésiastique est certainement une opportunité. Le clergé
est une puissance sociale, politique et économique.
Le nouveau petit vicaire rejoint une communauté
copiée sur le régime claustral qui compte de deux à dix
membres, douze exceptionnellement, nombre pair en raison
de la répartition symétrique de part et d'autre de l'autel
lors des offices. Il est hébergé, nourri, soigné, habillé
avec attention et qualité. Le maître de musique, parfois
secondé par un maître de grammaire, lui enseigne le
nécessaire pour assurer les offices religieux :
catéchisme, latin, chant, musique, voire à toucher un
instrument, à composer. Il participe à tous les offices,
aux processions, messes de fondation, inhumations, à
toutes les manifestations liturgiques publiques. Il est
rémunéré et on lui assure un débouché ou une formation
supplémentaire quand il devient adulte après une dizaine
d'années de service.
Telle est la perfection que peuvent parfois atteindre
quelques maîtrises, particulièrement celles de
grands et riches chapitres.
La maître des enfants (maître de chant, de choeur etc.)
sous la responsabilité d'un chanoine, organise la
vie, dirige l'enseignement et les prestations des enfants
de chœur, il gère la maisonnée qu'il partage avec les
enfants. Il peut être secondé par son épouse. Il compose,
copie (et fait copier), achète les musiques. Il a en
charge la direction musicale. Peu d'entre eux servent
longtemps à un même poste, parce que les relations avec
les chanoines sont souvent tatillonnes, qu'on cherche un
meilleur emploi, une ville de moindre cherté, une église
plus prestigieuse, des élèves privés ou du travail
supplémentaire au cabaret ou aux concerts.
L'extrême vaguance des maîtres reste assez énigmatique dans
la mesure où elle est un phénomène massif et constant.
Les 26 études publiées dans ce livre forment un riche
panorama contrasté. Panorama car la présence des enfants
de chœur est à de rares exceptions partout
manifeste. Contraste parce que les revenus financiers, les
moyens consentis, les choix, les milieux sociaux, les
besoins liturgiques sont inégaux d'un chapitre à l'autre.
L'intérêt du recueil ne repose pas sur une synthèse qu'on
en pourrait faire. L'histoire réelle se manifeste par les
spécificités que les historiens et musicologues réunis ont
parfaitement mis à jour à partir d'un éventail
documentaire issu des activités capitulaires
comprenant en premier lieu des comptes, des
contrats, mais aussi des délibérations, des mémoires, des
échanges de lettres, des livres écrits par des maîtres de
musique. De ce point de vue, le sous-intitulé du
colloque : «Des institutions entre service d'Église
et stratégies sociales» nous semble bien plus judicieux
que le sous-titre du livre qui en est issu : «Des
institutions musicales au service de Dieu».
L'essentiel des études sont centrées sur l'exposition
d'archives relatives à des chapitres,
localisés : Clermont, Cambrai, Amiens, Maubeuge,
Dol-de-Bretagne, Champaux, Saint-Pierre d'Angers,
Saint-Quentin, Paris, Annecy, Cavaillon, Saint-Jean de
Maurienne, Die. S'ils se recoupent à la transversale, les
angles d'attaque, dans les limites - bien entendu, ce que
peuvent délivrer les archives, sont différents.
Cinq grandes sections rythment l'ouvrage : le
recrutement et vie des maîtrises ; les petites
maîtrises ; les maîtrises urbaines ; les
pratiques musicales et la liturgie ; des comparaisons
avec d'autres pays. L'écriture soignée montre que la prose
universitaire n'est pas nécessairement sèche et revêche,
et malgré quelques redondances d'une communication à
l'autre pour honorer en quelque sorte la loi du genre, la
lecture est d'autant plus agréable qu'elle est
instructive.
On établit ici le quotidien d'une maîtrise, ou ses
évolutions dans le temps, là on s'attache aux activités du
maître, à l'image qu'il laisse à la littérature, aux
dictionnaires et aux dictons, ou à la condition des
enfants ; ici aux conflits et violences qui peuvent
se produire dans une maîtrise, mais aussi entre le maître
et les chanoines. On s'intéresse au recrutement des enfant
à Paris ou à la spécificité des communautés de prêtres
associés et des chapitres des «Dames nobles». On met en
avant les relations avec le politique où on révèle comment
des airs à la mode de vaudevilles font scandale à
l'office. On évoque évidemment le maître de musique
Annibal Gantez et son livre autobiographique
L'Entretien des musiciens paru en 1643 qui
constitue une source inestimable, y compris pour son
langage assez cru. On tente des tableaux de recensement
statistique sur les maîtres de musique.
On comprend que les archives sont plus bavardes sur les
questions d'organisation que sur le quotidien
artistique et pédagogique : on tient des comptes, on
rémunère, on reçoit des plaintes, et on règle les
conflits, on signe des contrats. On en garde des rapports
et des traces écrites.
Pour se faire une représentation de ces sujets moins
documentés (chroniqués), on étudie alors les livres de
cérémonial, tant mieux si plusieurs projets
sont en concurrence, cela fait parler l'histoire et
dit en contrepoint les pratiques réelles ; on
inventorie les fonds de partitions conservées, on y porte
analyse, on cherche les témoignages laissés au livre ou à
l'échange épistolaire. On peut être assez intrigué par le
fait qu'on trouve peu de littérature musicale spécifique
aux voix d'enfants. Il faut aussi noter en passant qu'une
grande maîtrise de 10 à 12 enfants emploie 1 anfant par
âge entre 7/8 ans et 17 ans.
Le livre est conclut par une visite aux pratiques hors de
nos frontières : Italie, Espagne, Portugal,
Allemagne. Les études de cette dernière partie sont moins
précisément localisées, moins circonstanciées et ont
tendance à considérer les maîtrises bien au-delà de la
communauté des enfants de chœur et du maître de musique,
avec la volonté au résultat parfois impressionnant de
traiter du sujet au complet, sur d'assez vastes étendues
tant chronologiques et géographiques que problématiques.
A plusieurs reprises, les auteurs insistent sur le
caractère, voire le statut professionnel des maîtrises,
lesquelles au fond seraient le corps technique du
spectacle liturgique, secondant les officiants et
palliant à leurs défaillances.
Ce faisant, on suppose des lacunes dans la formation des
prêtres ou l'impossibilité de trouver des qualifications
dans un corps social pourtant extrêmement nombreux.
Pourquoi combler les déficits par l'adjonction d'un
service d'enfants de chœur, plutôt que de promouvoir des
formations spécialisées de prêtres comme on le fait dans
les séminaires italiens ?
Il est difficile d'admettre qu'on dépense tant sur la
longue durée et des vastes aires géographique pour
s'assurer du seul appoint technique d'enfants. On peut y
ajouter leur voix d'ange, mais il faut d'abord qu'on ait
décidé que les anges ont une voix et que celle-ci est une
voix d'enfant. On peut supposer que l'image de l'enfant de
chœur a pour les religieux de profondes racines
symboliques. Peut-être est-ce par ailleurs pour les
prêtres, interdits de procréation en raison du célibat et
de l'abstinence sexuelle, une manière de participer à la
reproduction de la civilisation, d'être pères au sens
complet du mot. Il y a peut-être des raisons plus terre à
terre, comme celle de justifier de la bonne utilisation
des impôts perçus, de remplir une mission de
d'éducation.
L'incessant chassé-croisé des maîtres de chant, qui sont
des professionnels et non pas des prêtres, finit par
donner l'impression que le clergé tient à externaliser les
maîtrises, qui tout en ayant la décence religieuse ne sont
pas pleinement intégrées à l'église.
Quelle sont les conséquences, (y en a t-il ?) de la
déchristianisation, repérée, particulièrement par
l'historien des mentalités Michel Vovelle, surtout au Sud
de la France. Celle-ci est repérable par la
raréfaction des demandes de messes de souvenir dans les
testaments, donc d'offices, donc de revenus, donc en
besoin en services de maîtrises.
Concernant l'important « turn-over » des
maîtres, les auteurs emploient souvent le mot «
vicariant » qui nous semble impropre. Ce terme
indique la substitution (de fonction). Or la situation d'un maître
remplaçant un autre maître n'est pasd de caractère vicariant. La vue qui informe sur la froideur d'une
surface lisse est vicariante par rapport au toucher. Nous
préférons l'idée de vaguance, comme on l'emploie
avec les clercs vaguants.
Ces remarques naissent de l'intérêt même de l'ouvrage qui
nous semble au plus haut point utile, clair et pratique
pour la connaissance en histoire de la musique.
A consulter également :
La maîtrise de la cathédrale de Reims des origines à Henri
Hardouin XIII°-XVIII° siècles. Bibliothèque Municipale / Médiathèque cathédrale de Reims,
15 septembre / 15 novembre 2003. FFCB. Musiques et
patrimoines, Mois du patrimoine écrit 2003 [103 p. 7
€.]
Jean-Marc Warszawski 8 mars 2004
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