Pons Lionel (direction), Lucien Durosoir, un compositeur moderne né romantique (Préface par Myriam Chimènes). Actes du colloque des 19-20 février 2011 à Venise. Éditions Fraction, Albi 2013 [310 p. ; ISBN 978-2- 91889-80-4 ; 30 €]
Ce livre rassemble une douzaine de communications présentées au cours d'un colloque organisé à Venise les 19-20 février 2001, autour de la personne et de l'œuvre musicale de Lucien Durosoir.
Né en 1878, il est à l'âge de vingt ans premier violon des Concerts Colonne. Après s'être perfectionné en Allemagne auprès de Joseph Joachim et d'Hugo Heermann, il mène une brillante carrière de virtuose qui le conduit dans toutes les capitales européennes. En 1914, alors âgé de 36 ans, il est mobilisé. Il passe toute la durée de la guerre au front comme simple soldat, combattant, colombophile, brancardier. Il forme à la demande du général Mangin un petit ensemble de musique avec entre autres Maurice Maréchal et André Caplet.
Chaque jour, il écrit une ou deux lettres à sa mère, décrivant l'horreur de la guerre. Convaincu du fait que sa carrière de virtuose est achevée, par lucidité (il ne peut travailler ni son instrument ni ses relations comme les « planqués »), par colère et déception, mais aussi par envie, l'idée de composer l'avait déjà effleurée.
Il décide de se consacrer à la composition. Refuse après guerre un poste de premier violon à l'orchestre symphonique de Boston, s'installe dans un village au Pays basque loin du milieu artistique parisien. Il compose, sans apparemment chercher à se faire éditer ou a se faire jouer. Homme et méthodique, il a laissé dans son armoire à partition ses œuvres méticuleusement rangées.
Son destin et son œuvre sont donc étroitement liés à la Première Guerrre mondiale, à ce qu'il y endura et à partir de laquelle il se décida un autre destin.
Un choix de ses lettres adressées à sa mère a été publié (Maurice Maréchal et Lucien Durosoir, Deux musiciens dans la Grande Guerre, Tallandier, Paris 2005) et plusieurs disques de sa musique de chambre ont été produits. Actuellement, Amanda Favier (violon) et Célimène Daudet (piano), présentent en France et à travers le monde, après en avoir fait un cédé, un concert à partir des partitions que Lucien Durosoir conservait au front (« Dans la malle du poilu »).
C'est là, pour la musicologie un cas de figure singulier, car la spécificité historique de Lucien Durosoir apparaît tout d'abord comme celle d'un concertiste formé hors les institutions, puis devenu « chair à canon » dans les tranchées de la Grande Guerre. Elle n'est pas celle d'un compositeur, mais les conférenciers de ce colloque ne sont pas tombés dans le piège du mémoriel ou de la réhabilitation (de quoi ?)
Pour ce qui est des aspects historiques, les différents articles montrent que les interrogations de Lucien Durosoir sur son devenir de musicien et celle de la musique après guerre, étaient posées à tous les musiciens, dans le clivage de ceux qui au Front avaient pourtant un avenir très incertain, et des « planqués » qui pouvaient trouver cette guerre plutôt salutaire, voire belle ! (Il faudrait, face aux enthousiasmes et au nationalisme hystérique de l'arrière, mettre des passages de lettres de Lucien Durosoir évoquant l'apocalypse des tranchées et la tolérance cosmopolite).
Après les premiers débroussaillages d'Isabelle Bretodeau entrepris depuis plusieurs années, la réflexion sur la musique et les analyses formelles prennent quelque assise et ampleur, au moins pour la singularité de l'œuvre. Il restera peut-être à avancer dans la mise en perspective des spécificités d'une musique hors les écoles et — mais à quel point ? — des discussions esthétiques et des centres de création musicale. C'est un sujet d'importance.
Dans son article, par ailleurs fort intéressant et bien documenté (des découvertes pour bien des lecteurs), Charlotte Segond-Genovesi remarque que toutes les obédiences politiques souhaitaient la guerre. Peut-être aurait-il fallu évoquer Jean-Jaurès et son journal l'Humanité qui luttèrent jusqu'au bout à la tête des pacifistes. Cela pourrait nourrir une réflexion plus large sur notre propension à ne considérer de parti-pris pertinent que dans le cadre d'une relation binaire belliqueuse, comme dans les polémiques de la vie quotidienne, les emportements des partisans en sport ou les querelles entre écoles esthétiques.
Sur la foi des programmes de l'époque, on assure que Lucien Durosoir est le créateur en France du concerto pour violon et orchestre de Johannes Brahms. Or Le journal « Angers artiste » (3e années, no 25), annonce un concert du violoniste Henry Marteau (1874-1934) avec cette œuvre dans un programme du 27 mars 1891 (le journal, bimensuel, est daté du lendemain !).
Jean-Marc Warszawski
12 mai 2014
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