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Lucien Durosoir : Le Balcon

Lucien Durosoir, Le Balcon. Œuvres de musique de chambre 1924-1931. Sequenza 9.3, Quatuor Diotima, Trio Hoboken, Quintette Aquillon. Alpha 2011 (175).

Compilation anthologique. Les œuvres ont été enregistrées en août 2005 à Radio-France, en février 2010 en l'église Saint-Jean de Paris, en avril-mai 2010 à la ferme de Villefavard en Limousin.

Ensemble séquenza 9.3 ; Quatuor Diotima ; Quintette Aquillon ; Trio Hoboken ; Kareen Durand (soprano) ; Jeff Cohen (piano) ; Raphaël Merlin (violoncelle) ; Johann Farjot (piano).

Livret conséquent.

Le Balcon, premières mesures.
Le Balcon est le 4e album consacré à l'œuvre de Lucien Durosoir, qui ne doutait pas qu'un jour on prenne intérêt à ses compositions, soigneusement rangées dans son armoire à merveille.

Durosoir est entré dans l'histoire comme violoniste virtuose, en est sorti de son propre chef, après avoir servi toute la durée du premier conflit mondial, comme chair à canon, selon lui-même. Cela, avant de réaliser son envie ou son projet, de devenir compositeur.

Colère, dépit, rancœur pour le monde musical « planqué », amertume, désillusions, tout cela qu'il couche sur le papier une à deux fois par jour, pour sa mère, depuis les tranchées. Il va se passer quelque chose, ce n'est pas possible autrement, prédit-il.

En effet, la Révolution soviétique, l'organisation des mouvements révolutionnaires radicaux et leur montée en puissance, la syndicalisation, les expériences de rupture dans tous les arts, témoignent de cette envie de table rase. Le pianiste et compositeur tchécoslovaque, Erwin Schulhoff (1894-1942), pourrait singulièrement symboliser cette tendance du monde. Il revient aussi du front, du camp d'en face, en colère, révolté. Il s'engage dans le mouvement révolutionnaire, se lie à l'expérience dada à Berlin, met en musique le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels... Mais Durosoir, quant à lui, se retire du monde, et finit par s'installer dans l'isolement d'une ferme des Landes.

Sa musique n'est donc pas entrée dans l'histoire.

Elle n'est pas une musique marginale, mais elle ne manifeste pour aucun courant ou aucune école particulière. Elle n'est pas dans l'ombre ou dans la lumière d'un groupe, elle serait plutôt le dépôt d'une oreille attentive à son temps. La virtuosité et la culture de l'instrumentiste se retrouvent sous la plume du compositeur.

Ses mélodies sont dans la tradition rançaise, du genre de celles qu'on peut entendre chez Debussy (plus que chez Fauré). D'où; l'idée de classer Durosoir dans le tiroir des impressionnistes. Mais son traitement instrumental me semble quant à lui allemand. Les sonorités amples et profondes des cordes, les dessins thématiques, pourraient être rapprochés du Schönberg de La Nuit transfigurée.

La virtuosité contrapuntique, complexe et libre (je suppose contrôlée d'oreille plus que de système), renforcerait cette idée (pourrait-on parler d'un contrepoint impressionniste ? Serait-ce le cas ?).

Mais surtout, la théâtralité générale, la fureur, les ténèbres, « la profondeur », l'atmosphère souvent tragique, exprimés par la musique de Lucien Durosoir, nous semble avoir un air de famille avec l'expressionnisme allemand.

On a même envie d'ajouter, que le pathos romantique pointe à peine, au profit de la distanciation si efficace, dont un terrible exemple est le final du Wozzeck de Georg Büchner mis en opéra par Alban Berg.

Cela correspondrait assez à l'idée qu'on peut se faire de la personnalité de Lucien Durosoir, qui aux moments les plus durs et dangereux, ne cède pas au pathos, mais précis, organisé, tatillon peut-être, la conscience claire de ce qui se passe, peut décrire précisément et froidement les bruits des projectiles qui tonnent ou qui sifflent aux oreilles, les sentiments insupportables que cela provoque, ou exposer par le détail les caractéristiques du pistolet que sa mère doit acquérir pour lui, parce que c'est plus efficace qu'un fusil, dans le corps à corps des tranchées.

Peut-être encore, mais c'est là certainement un point de vue d'oreille sollicité, la conduite dramaturgique ne semble pas adopter le traditionnel resserrement dramatique menant au climax (une idée fixe chez Chostakovitch par exemple), puis de là, à l'apaisement et dénouement. La musique de Durosoir délivrerait un flux continu d'impressions contrastées, comme le furent les événements et les pensées, qui l'ont mené à déserter tant le monde musical actif que le monde tout court.

Ce flux est solidement encadré par un style imposé avec insistance et aussi par une assise thématique têtue, plus cyclique que développée, parfois assez mécanique et insistante, ignorant toutefois la motricité de la tradition russe qui ne semble pas avoir touché le compositeur.

Si la fureur de faits et de pensées qui fut celle des tranchées marque sa musique, nous aurions très envie de prétendre que la fusion de l'impressionnisme français et de l'expressionnisme allemand, tout en étant un élément de richesse et de contraste esthétique, aurait aussi été un vecteur d'apaisement, pour lui qui avant la guerre, faisait découvrir les compositeurs allemands en France, et en Allemagne, la musique française.

Jean-Marc Warszawski
7 juin 2011.


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