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Jean-Marc Warszawski, 14 mai 2007

Christina Pluhar : Los Impossibles

L'ARPEGGIATA, CHRISTINA PLUHAR (dir.),
Los Impossibles. Naïve, 2006, V 2055. [un CD Audio et un CD vidéo].

Ce disque propose un programme des plus réussis musicalement. Perfection du goût, de cohérence, de finesse. Mais il est aussi fait de jubilation sonore. C'est ce plaisir évident qui emporte l'adhésion au premier coup d'oreille. Sa justification musicologique est des plus intéressantes, et montre, là aussi, la volonté de maîtriser dans la clarté. Mais au bout de la gravure, le plus surprenant,  est, qu'il est évident qu'un orchestre baroque, spécialisé dans la musique italienne du XVIIe siècle, joue un répértoire de musique traditionnelle sud-américaine. Et ça cartonne.

Je ne crois pas aux reconstitutions historiques. Rien du passé ne peut se reconstruire, mais il est nécessaire de chasser les fantômes qui roderaient autour de toutes les choses que la vie passée nous à léguées, tant les objets réels, que les fantasmes de la mémoire collective.

L'art n'est pas un moyen de connaissance rationnelle du monde, mais il en est un exercice vital, qui maintien en alerte nos capacités imaginatives et l'obligation de faire des choix rationnels, sans lesquels nous ne saurions prendre connaissance, juger d'une situation ou d'une idée,  ou de les construire.

En quelque sorte, l'art est une contrefaçon de la vie, nécessaire à la vie, mais une contrefaçon distanciée, idéologique, sans danger ni obligation. C'est peut-être pour cela que nos sens, et donc notre plaisir, s'ouvrent en grand à lui. L'Art est liberté et conciliation en nous-mêmes.

Voilà pourquoi, brièvement, je ne crois pas que la musique puisse être historique (au moins avant la possibilité d'enregistrer sons et images qui témoignent), encore moins musicologique. Mais,

il est tout à fait légitime qu'un artiste s'exprime sur ses sources d'inspiration, ses techniques, son projet. Il est bien qu'il rappelle à la société qu'il est un être intelligent et pas un hasard à la loterie des muses. Mais, tout en nous rendant intelligents avec lui, il n'explique en fait par grand chose de l'essentiel, peut-être même brouille-t-il les cartes, se retire-t-il de la partie par pudeur, nous laissant face à son jeu, pour nous en débrouiller, en en jouir seuls. Le film qui accompagne le CD audio, est de ce point de vue est exemplaire. Quel est donc le lien entre les propos rationnels, la démonstration du fait qu'on sait parfaitement ce qu'on réalise,  dans les séquences de reportage, et l'émotion qui nous prend dans les séquences musicales ?

Christina Pluhar s'est inspirée de partitions anciennes, et nous dit son intérêt, voire sa surprise, parce que certaines mélodies ayant circulé entre Espagne, Portugal et Italie entre XVIe et XVIIIe siècles, s'entendent encore de nos jours en Amérique latine.

Mais cela n'explique pas comment, à la tête de son ensemble « L'Arpeggiata », avec des invités exceptionnels, elle a créé un programme, un spectacle, une œuvre magistrale, d'une immense intensité, efficace, et d'une sensibilité qui touche fort. De cela elle ne peut parler,  car il s'agit de ses qualités d'artiste, de son imagination, de la maîtrise de son art, et de son goût assuré, de son sens de la dramaturgie sonore, du théâtre, son  sens du spectacle et d'une certaine perfection. On ne peut exprimer le superlatif à la première personne du singulier, et surtout, on ne peut tout expliquer de ce qu'est l'envie, et de tout ce qui mijote dans la tête et le métier du créateur.

« Los Impossibles » aborde de manière originale, voir inattendue, du point de vue de la musique dite baroque, une sensibilité musicale qui traverse plusieurs répertoires populaires, qu'on reconnaît, mais qu'il est difficile de spécifier en une formule simple. Une musique altière, excessive, mais prude, derrière son ironie, ses provocations ou sa nostalgie.

Dans le film, Christina Pluhar demande à ses musiciens, de donner plus de rythme, plus d'incises, plus de stablité. Elle veut que ce soit plus « macho ». C'est le bon terme, celui du flamenco ou du tango. Cette tension à la fois caressante et rugueuse, cette attitude qui dit à la fois la volonté de vaincre et la crainte de l'échec, la provocation qui est une prière, l'illusion du pouvoir sur ce qu'on peut dominer, entre homme et femme, faute de mieux, mais qui est déjà un bien infini, une infinie tristesse, une infinie nostalgie, un infini sentiment de solitude, et une infinie volonté de vivre, qui livre l'ironie et l'envie festive.

Cette musique qu'on a été chercher dans les manuscrits du XVIIe siècle, est en fait, heureusement, et avec quel art, interprétée dans l'impétuosité de traditions bien vivantes (Christina Pluhar le dit dans le film : il ne s'agit pas d'une interprétation musicologique). Bien entendu cela sonne ici Flamenco, Pepe Habichuela et Flaco de Nerja, ne participent pas à l'aventure pour rien. On entend là les sonorités typiques de tradition Sud-américaine. Il est difficile de ne pas penser à la truculence sonore du célèbre « Buena Vista Social Club ». On est admiratif devant la prestation vocale des « King's Singers », devant la cohérence soignée générale du disque, tout à fait étonné par la manière dont les instrurments anciens sonnent magnifiquement dans un tel répertoire... ou inversement.

Jean-Marc Warszawski
14 mai 2007


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