Liz McComb n'était pas enthousiaste à l'idée d'incorporer Jéricho à son répertoire, ce gospel joyeux, quelque peu enfantin, que tout le monde chante depuis l'école maternelle, qui ne veut pas dire grand-chose, sinon ce qu'on lui fait dire.
Il aura fallu le hasard des rencontres et de la programmation du 30e festival Jazz à Vienne, le 27 juin 2010, pour qu'elle tente cette chanson, en compagnie de Regina Carter, la violoniste de toutes les expériences, et d'Akua Dixon, plus sage, qui commença sa carrière de violoncelliste avec Duke Ellington.
Ce fut un moment mémorable, mêlé d'improvisation, d'invention, de virtuosité, d'écoute mutuelle, entre des musiciennes attentives, jouant à la fois de leur métier assuré et d'une spontanéité non renouvelable.
C'est ainsi que le Jéricho de Liz McComb, aux accents jazz-blues rock est né, après les versions (enregistrées) des Harrod's Jubilee Singers en 1922, du grand Paul Robeson trois ans plus tard, de la légendaire Mahalia Jackson en 1958... et même d'Elvis Presley en 1960.
Joshua Fit the Battle of Jericho, est un gospel traditionnel, un chant de triomphe, une espèce de comptine, dont le caractère magnétique tient certainement plus à la sonorité et au rythme de ses mots qu'à ce qu'ils racontent :
Salut frère Jean, salut sœur Marie, on cause un peu de Josué1 ? Vous pouvez parler de Gédéon2 et de Saül3 , mais ça ne vaut pas Josué à la bataille de Jéricho, Jéricho, Jéricho ! Car devant lui, au son des trompes, les murailles se sont écroulées.
C'est ce que raconte le Livre de Josué, qui engagea la conquête du pays de Canaan par la prise de Jéricho, place stratégique.
En réalité, l'installation des Hébreux au Pays de Canaan (Palestine), ne se fit pas au terme d'une campagne militaire, mais au rythme migratoire étalé sur un moins deux siècles. À l'époque évoquée par la Bible, Jéricho, la plus ancienne ville connue du monde, fondée vers 7000 ans avant notre ère, était depuis longtemps abandonnée, après avoir été une oasis riche et prospère. Elle le sera de nouveau, sous l'autorité de Cléopâtre, ou à l'époque des constructions d'Hérodote le Grand, qui y érigea son palais. Les archéologues n'ont pas trouvé trace de destruction violente.
Cet épisode biblique est jubilatoire, pour l'esclave croyant de l'époque où ce gospel, Joshua Fit the Battle of Jericho, est apparu : Dieu n'abandonne pas qui persévère (comme Josué qui n'abandonne pas ce qu'il a commencé), c'est par sa volonté, le cri et la musique, que les murailles s'effondrent.
Dans le double sens qui caractérise le Gospel, il s'agit sans aucun doute d'espérance dans la libération, et dans la puissance du chant de croyance, qui peut trouver une certaine résonance dans les événements récents, si tant est que l'effondrement du mur de Berlin ou que le « printemps arabe », aient été vraiment libérateurs pour les peuples ; sans compter les nouvelles murailles aussitôt érigées, en Palestine, justement, ou politiques, pour protéger la dictature des banques, ou celles que l'on dresse — en France — devant les étrangers et les gamins des banlieues.
Mais le ton léger pourrait aussi évoquer une pointe d'ironie, comme c'est souvent le cas dans la tradition yiddish : tu peux toujours attendre.
______
1. Personnage biblique, successeur de Moïse à la tête du peuple d'Israël. Il est le conquérant de Canaan, et serait mort vers 1200 avant notre ère. Sa vie fait l'objet du Livre de Josué.
2. Personnage biblique, grands juges et guerrier d'Israël. Les grands juges ont régné entre la conquête de la Palestine et l'institution de la royauté.
3. Personnage biblique, premier roi d'Israël.
Jean-Marc Warszawski
10 octobre 2011
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Jeudi 1 Février, 2024