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Jean-Marc Warszawski, 9 juin 2008.

Mélodies urbaines : la musique dans les villes d'Europe (XVIe-XIXe siècles)

 

Mélodies urbaines GAUTHIER LAURE & TRAVERSIER  MÉLANIE (direction),Mélodies urbaines : La musique dans les villes d'Europe (XVIe-XIXe siècles)(Préface par Jean-Pierre Bartoli). Presses Universitaires de la Sorbonne, Paris 2008[368 p. ; ISBN  978-2-84050-563-1 ; 32 €]

Même si on a l'impression que certains articles rassemblés ici, sont un peu artificiellement arrimés au sujet, ce livre est passionnant de bout en bout. Par son objet même : le phénomène urbain, qui est, c'est une évidence, une problématique essentielle, dès qu'on veut réfléchir aux activités humaines, musique comprise. Mais, un type de sujet rare en musicologie, où l'on fait l'effort d'ignorer ce genre d'évidence.

Comme on peut le lire dans la préface : « Qu'est-ce qu'un musicologue ? C'est un historien, un anthropologue, un philosophe, un sémioticien ou un sociologue ou que sais-je encore qui se penche sur la musique mais ce qu'il a d'essentiel et que les autres n'ont pas est qu'il sait à cet effet lire et analyser les partitions ». On se demande où le musicologue étudie toutes ces matières. Les cursus musicologiques ne comprennent pas ces formations, ils ont même ignoré les bouleversements des sciences sociales et de l'histoire des années 1970.

La musicologie est restée, en grande part, imprégnée du positivisme érudit de bibliothèque, de la charnière des XIXe-XXe siècles, qui ont établi la discipline. Depuis, elle cherche une reconnaissance de science « dure » ou « technologique », « neutre » (la science ce sont des nombres et des formules, n'est-ce pas ? ). La musicologie cultive, pour parodier des propos de Pierre Abélard, des arbres aux magnifiques feuillages, mais sans fruits.

Ce livre, n'a pas cette invraisemblable prétention, du musicologue « couteau suisse » de l'érudition, vieux refrain cher au monde de la musicologie, de François-Joseph Fétis (1784-1871) à Jacques Chailley (1910-1999), en passant par Jules Combarieu (1859-1916), et bien d'autres.

Il s'agit ici, simplement d'une étude de sciences sociales, du point de vue de la musicologie qui en est une spécialité, avec ses outils et moyens spécifiques.

S'attaquer au phénomène urbain, est essentiel pour comprendre nos sociétés, et la manière dont elles se pensent et se reflètent dans ses activités artistiques.

La ville est le lieu des pouvoirs, des centralisations, de la promiscuité, et de la coopération entre les personnes. C'est dans les villes que le travail s'est divisé et spécialisé. Sans ville, pas de salles de concert, pas de métier de musicien. La ville est aussi le lieu où les contradictions de la société se font les plus vives, où des besoins aigus d'unité sociale se font sentir, dans lesquels le spectacle joue un rôle important, particulièrement de miroir et de régulation. C'est depuis les villes que l'élite propage son influence, entre les villes que voyagent les musiciens et les informations.

Le développement de la vie urbaine a donc des conséquences importantes sur l'administration du monde musical, mais encore, sans aucun doute, sur les esthétiques.

La ville attire, mais la ville révulse, en ce qu'elle est le théâtre de l'exacerbation des contradictions de la société. Elle apparaît alors comme contre-nature, un endroit où se développent la débauche, le crime, l'immoralité, voire la révolution. On se tourne alors vers la campagne, ses vertus et vérités originelles, les racines supposées. Le paradis est un jardin, l'enfer une ville.

On peut multiplier les exemples illustrant cette opposition, de la villa romaine hors de la ville, à l'œuvre littéraire de Jack London, la fermette de Marie-Antoinette à Versailles, et le choix de Versailles lui-même, comme séjour royal. La Trilogie de la Vilégiature de Goldoni, le goût de la campagne chez Jean-Jacque Rousseau, le mouvement de « retour à la campagne » des années 1970, enfin tout ce qu'on peut imaginer autour de la pastorale, de la bucolique, de l'agreste, qui peuplent aussi les œuvres musicales. Le mythe pastoral, fondement idéologique de la jeune Amérique en rupture de ban avec la vieille Europe corrompue, est une aspiration produite engendrée par la ville, tout comme l'«art  nouveau », immense mouvement tourné vers la nature, qui, dès le milieu du XIXe siècle, transforme l'architecture des villes, et impose l'idée de modernité. C'est, par exemple, dans ce mouvement que la musique atonale prit son essor.

Ce livre offre une large palette d'articles et de points de vue, lesquels dans leur ensemble, esquissent l'image de dynamismes sonores mais encore d'économie musicale, (sur quatre siècles et l'ensemble de l'Europe), qui n'ont pas d'autonomie propre, qui ne sont pas des objets singuliers de laboratoire, mais qui sont, tout au long, la mise en œuvre de décisions prises pas des personnes.

Jean-Marc Warszawski
9 juin 2008


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