FRANÇOIS-SAPPEY BRIGITTE & LEBRUN ÉRIC, Alexandre P. F. Boëly. « collection Horizons », Bleu nuit éditeur, Paris 2008 [176 p. ; ISBN 2-913575-92-7 ; 20 €].
De nombreux mobiles peuvent pousser à s'intéresser aux petits maîtres de musique du passé. Encore que « petits maîtres » soit une mauvaise expression, car elle est essentiellement, une construction de la mémoire collective, elle ne dit pas grand-chose des œuvres, et de l'histoire. Elle n'est elle-même pas l'évidence qu'elle semble nommer.
La confusion entre l'histoire qui est l'étude de notre passé, et la mémoire collective qui est un miroir de ce que nous sommes là, fait aussi, que les nombreux mobiles qui poussent à s'intéresser au passé, soient souvent de mauvais conseillers, voire des prémices biaisées.
Par définition, la mémoire collective n'est pas amendable, et elle n'est pas un vecteur assuré de connaissance du passé. Il est donc nécessaire de faire de l'histoire si on veut donner un sens aux traces et témoignages hérités du passé, qui peuplent notre présent (mémoire collective comprise).
Certes, ce livre composé à quatre mains et deux registres peut être envisagé comme une sorte de réparation de ce qu'on appelle, imprudemment, un « oubli » ou une « injustice » de l'histoire. Mais il n'est pas un travail mémorialiste et vise bien l'histoire, même s'il paraît, comme un monument de mémoire, pour le 150e anniversaire de la mort d'Alexandre Boëly.
D'ailleurs, la première partie de biographie générale, a comme un fil conducteur, la recherche de ce qui provoque l'incapacité de Boëly à accéder à une notoriété suffisante pour imprégner la mémoire collective — événements politiques, les institutions, le caractère, pas toujours facile, du compositeur —, malgré une œuvre considérable, et la réputation qu'il a d'être un virtuose inégalé (mais les organistes et pianistes tombent nécessairement sur des pages de Boëly).
La seconde partie s'attache au quotidien musical du musicien et à ses œuvres. Éric Lebrun est à son affaire, puisqu'il joue l'œuvre pour orgue de Boëly, et qu'il a donné et donne encore, à l'occasion du 150e anniversaire, de nombreux concerts. Il a, par ailleurs, enregistré avec Marie-Ange Lebrun, une intégrale de l'œuvre pour orgue ( Disques Bayard ).
La musique de Boëly, inspirée par l'œuvre de Jean-Sébastien Bach, de facture classique, a des traits, des manières, qui font penser au romantisme allemand. Ce qu'on peut dire aussi, en partie, de la musique d'Hélène de Montgeroult, qui fut certainement, sous la Convention, sa professeure de piano, au tout nouveau Conservatoire de Paris.
Cela est passionnant, car ces musiques, qu'on juge en partie passéistes, indéfinissables, avec des manières qui font penser à Mendelssohn, Schuman ou Schubert (et du coup c'est de l'audace), ne semblent pas être des singularités curieuses perdues dans le courant de l'histoire. Elles ne sont ni en retard, ni en avance sur leur temps ( comment cela serait-il possible ? ), elles sont bel et bien dans la spécificité de leur époque, une spécificité qui ne s'est pas accommodée avec la mémoire collective, qui ne figure pas dans nos clichés, mais qu'il faut faire entrer dans l'histoire qu'on écrit, et bien entendu dans les concerts. La musique allemande ( sans aucun doute « le premier » Beethoven ) a donc inspiré des musiciens français, avant l'épisode Wagner, tout au moins, a-t-on suivi des voies proches, et la période révolutionnaire n'a donc pas transformé la France en désert artistique, mais a certainement profondément transformé le paysage et renouvelé les hiérarchies esthétiques.
Jean-Marc Warszawski
30 mai 2008
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