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Monaco, 3 décembre, par jean-Luc Vannier ——

Le ténor José Cura à cœur ouvert à l'opéra de Monte-Carlo

José CuraK. Okerlund, J. Cura, A. Sogno, Opéra de Monte-Carlo, décembre 2014. Photgraphie © Opéra de Monte-Carlo, 2014.

Celles et ceux qui ont, mardi 2 décembre, profité de l'entracte pour quitter la salle Garnier de Monte-Carlo auront boudé leur plaisir. Sans doute assistaient-ils au récital du ténor José Cura avec le secret espoir d'entendre à nouveau cette voix extraordinaire qui, en avril 2013, les avait charmés lors d'un apothéotique Stiffelio verdien en clôture de la saison lyrique monégasque ? Pourtant, avec deux bonnes heures de « Chansons argentines »,  l'ancien élève des chœurs du Théâtre Colon de Buenos Aires a littéralement envoûté une audience composée d'un nombre infime de Sud-Américains : un jeune couple de Riyad — lui est chirurgien au CHU Roi Saoud — savourait ainsi la douce musicalité des mélodies malgré l'intransigeante barrière de la langue. Pas besoin de comprendre José Cura : il suffisait de laisser aller ses affects pour être transporté dans l'univers poétique du ténor argentin.

Accompagné au piano par Kristin Okerlund, professeur au Conservatoire de Vienne, avec des trésors de délicatesse dans l'exécution dont un rubatoarachnéen debussyste des « Violetas », extrait des poèmes de Luis Cernuda, et assisté d'Anthéa Sogno comme récitante, José Cura s'est livré à cœur ouvert, avec un programme dédié à l'amour, la tristesse et la nostalgie : « pas de ténor ce soir », a-t-il confié en réclamant du responsable du plateau, « le centre de la vie du théâtre », « plus de lumière dans la salle elle-même afin de mieux voir » son public. « En bon français de la Sorbonne » s'est-il plu à expliquer, « on va se taper une nuit d'enfer avec les plus belles poésies de mon pays ». Après « Desde el fondo de ti » d'Hilda Herrera, fondatrice en 2002 du « Creadores e Intérpretes de la Música Argentina en Piano » (CIMAP) et d'émouvants « Lágrimas » déclinés dans  « Postal de guerra » de Maria Elena Walsh, l'artiste lyrique devenu en outre metteur en scène et scénographe a tenu à expliciter l'origine et le sens de chacune des mélodies interprétées : « Funeral Coya » de Felipe Boero, dont le second terme fut un titre de noblesse créé par les Incas à partir d'un nom d'ethnie et qui « n'est plus aujourd'hui que synonyme de pauvreté ». De Carlos Lopez Buchardo, il a interprété le très sombre « Canción del carretero » où le « charretier chante son sacrifice et dont la voix porte le fardeau ». Une longue présentation a introduit « un changement de registre » avec « Si muero sobrevíveme ! » de Pablo Neruda : une passionnante histoire commencée lors d'une représentation de Francesca da Rimini en 1995 et un poème d'une sublime beauté évoquant la mort « À ma mort, je veux tes mains sur mes yeux » puis son dépassement « Cette nuit, ma bien-aimée, ensemble, nous allons vaincre les ténèbres ». Subtile, la voix de José Cura s'enfonce dans une indicible douleur, puis, dans un soudain forte, arrache au vivant un ultime cri d'angoisse pour nous plonger avec l'ambiguïté inhérente à toute mélancolie, dans de fascinantes et intimes afflictions.

José CuraK. Okerlund, J. Cura, A. Sogno, Opéra de Monte-Carlo, décembre 2014. Photgraphie © Opéra de Monte-Carlo, 2014.

La seconde partie, témoin d'une montée en puissance vocale du ténor, sans doute afin de plaire à certaines de ses afficionadas « frustrées », a permis d'entendre « tres canciones sobre poemas de Cernuda », puis une série de chansonnettes dédiées aux fleurs, un air sur la mystérieuse origine du saule pleureur qui a « perdu sa rose ». Avant de clore ce récital en beauté avec une interprétation magistrale, bouleversante d'authenticité, de la « Canción de la Bandera », « la chanson au drapeau » d'Hector Panizza : à l'origine un air de ténor joué pour l'ouverture de l'opéra au Teatro Colón en 1908 et devenu une sorte d'hymne patriotique imposé dans les écoles du pays: « c'est toute ma vie qui me tombe dessus avec cet air » précisa José Cura, avant d'offrir deux « bis » sous les ovations debout d'un public conquis.

Monaco, le 3 décembre 2014
Jean-Luc Vannier

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