Il est né à Saint-Pétersbourg. Elle vient d'Espagne. Lui est chef d'orchestre, elle violoniste. Il dirigeait, vendredi 26 septembre salle Garnier, l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo dans un programme dont l'inhabituelle originalité côtoyait la richesse musicale : César Franck (« Psyché et Eros », extrait du poème symphonique FWV 47), Édouard Lalo (Symphonie espagnole pour violon et orchestre, opus 21), Albert Roussel (Le Festin de l'araignée, Suite pour orchestre opus 17) et Maurice Ravel (Le tombeau de Couperin dans sa version pour orchestre). Une rencontre fascinante : visage souriant et empreint d'une authentique bonhomie, barbe et binocles tchekhoviennes, Andrey Boreyko guidait tantôt avec ses mains aériennes et virevoltantes, tantôt avec une baguette pour les mouvements plus rythmés, une philharmonie monégasque ostensiblement ravie de jouer sous sa direction. Plus tourmentée, plus sanguine, moulée dans une robe aux couleurs enflammées dignes d'une Queimada de Galice, Leticia Muñoz Moreno multipliait les notes cristallines et tenait des aigus aussi affinés et élancés que les talons aiguilles de ses escarpins.
Andrey Boreyko. Photographie © DR.
Cette superbe soirée débutait avec « Psyché et Éros », troisième et dernier volet de Psyché, le poème symphonique FWV 47 de César Franck créé entre 1887 et 1888 : un subtil échange évoluant vers la fusion spirituelle de pastels mélodiques, entre des pupitres de cordes littéralement choyés par les œillades complices et autres sourires incitatifs du maestro. Pur bonheur musical. Des cinq mouvements de la Symphonie espagnole pour violon et orchestre, opus 21 composée par Edouard Lalo en 1874 et créée en 1875, la même année que la Carmen de Georges Bizet, la soliste madrilène a manifestement tenu à distinguer ses interprétations : dans les deux premiers Allegro non troppo et Scherzando : Allegro molto, elle a privilégié une virtuosité toute intérieure, une exécution ciselée dont le caractère intimiste, rentré même ont comme enchâssé, lové, parfois enfoui les sons de son instrument au cœur de l'orchestre. Puis, exacerbant l'intensité de son jeu d'archet à partir de l'Intermezzo : Allegro non troppo du troisième mouvement, Leticia Muñoz Moreno s'est davantage imposée à son environnement orchestral par des résonnances plus substantielles, un harmonieux glissando et un aigu appuyé dans le final de l'Andante. Pour l'ovation reçue par un public sous le charme, elle offrit en « bis », un extrait accompagné à la harpe (Sophia Steckeler), de la version instrumentale de Nana (1914), chanson populaire de Manuel de Falla.
Leticia Muñoz Moreno. Photographioe © DR.
Franchie pendant l'entracte, l'entrée dans le xxe siècle musical invitait à entendre en deuxième partie Le Festin de l'araignée, suite pour orchestre opus 17 écrite par Albert Roussel en 1912 et peut-être inspirée du célèbre fusain sur vélin d'Odilon Redon « L'araignée souriante » de 1881. Sept épisodes d'une description picaresque où faune et flore entremêlent leur destin musical initié par une inspiration debussyste pour la sensualité de la flûte solo dans le prélude mais suivi d'un pointillisme suggestif plus accentué dans les autres tableaux, marqués notamment dans l'un d'entre eux, par une remarquable échappée du violon solo (David Lefèvre).
La version pour orchestre du Tombeau de Couperin de Maurice Ravel (1917) clôturait ce festival d'orchestrateurs français à cheval sur deux siècles. Au cours des quatre mouvements, Prélude, Forlane, Menuet et le fameux Rigaudon final, le maestro Andrey Boreyko a alterné l'utilisation de la baguette et un étonnant anthropomorphisme de la gestuelle où la main conceptrice semblait insuffler la vie aux harmonies. Une direction minutieuse et pourtant douce, impérative pour une partition principalement dédiée aux intonations colorées des vents, des bois et des cuivres. Dans le fauteuil voisin, une jeune apprentie violoncelliste fermait les yeux d'aise afin d'en mieux saisir les infinies nuances.
Jean-Luc Vannier
Monaco, 27 septembre 2014
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