5 décembre2011, par Jean-Luc Vannier.
Orchestre philharmonique de Monte-Carlo et le Rundfunkchor Berlin (photographie Éric Mathon).
Une œuvre ardue. Une pièce monumentale. Parfois inaccessible à l'entendement humain. Proposée en concert exceptionnel au Grimaldi Forum de Monaco dimanche 4 décembre, la Symphonie n° 2 en do mineur, dite « Résurrection » pour soprano, contralto, chœur et orchestre de Gustav Mahler étreint l'auditeur par la complexité de son écriture orchestrale et l'intensité de son ambassade musicale. Jusqu'à l'émerveillement mêlé de suffocation. Qu'on en juge : à la peine sur un manuscrit qu'il travaillait depuis de longs mois, le compositeur autrichien eut une « révélation » en écoutant, lors d'un service funèbre, le choral de Friedrich Gottlieb Klopstock « Auferstehung ». « J'en fus frappé comme d'un éclair, conte Mahler, tout était devenu limpide, évident ».
Nathalie Stutzmann (photographie © Simon Fowler pour Deutsche Grammophon).Et puisque son ouvrage se devait d'évoquer auprès de l'oreille terrestre l'antagonisme de la vie et de la mort, antagonisme résolu par la résurrection, l'auteur se plut à bouleverser la construction classique de la symphonie en la dotant de cinq mouvements de très inégale envergure. Dont une marche funèbre d'une dimension encore plus audacieuse que celle de la mort de Siegfried du Götterdämmerung de Richard Wagner et un final, Im tempo des Scherzo, nourri de chœurs, de deux voix contraires de soprano et de contralto et qui occupe plus du tiers de l'œuvre. Avec, par surcroît, une pause de plusieurs minutes — presque respectée dans cette version ! — entre un Allegro maestoso initial et un Andante con moto : interruption exigée par le compositeur pour « rappeler le souvenir d'un moment heureux dans la vie de ce mort bien aimé ». Une césure rythmique et phonique que cet opus renouvelle : on pense notamment au sauvage et soudain Allegro energico qui brise la suave mélodie de l'Urlicht « O Röschen rot » et déstabilise l'audition comme l'auditoire en lui rappelant sans ménagement le surgissement inopiné de l'infortune.
Mark Wigglesworth (photographie © Ben Ealovega).C'est dire dans ces conditions toute l'importance de la direction musicale. On ne saurait — presque — rien reprocher au maestro anglais Mark Wigglesworth. Une conduite ciselée, exigeante, méticuleuse. Elle est pointue dans la nuance et obtient de la remarquable Philharmonie monégasque une légèreté toute aérienne dans le deuxième mouvement. Elle se surpasse dans l'expression d'une puissance hors d'atteinte du mortel lorsqu'elle requiert les cuivres — placés pour certains d'entre eux en dehors de la scène comme le souhaitait le compositeur — pour sonner les terreurs du jugement dernier et les tremblements de l'apocalypse. Le « presque » provient de là : une lame plus qu'une baguette. Une interprétation que les plus critiques pourraient juger désincarnée si l'esprit de l'œuvre ne le commandait pas. Au point tout de même de questionner le statut des voix : pas celles du Rundfunkchor Berlin dirigé par Simon Halsey et qui sont, dans cette sublime ascension du Aufersteh'n, ja aufersteh'n wirst du, littéralement inoubliables. Plutôt celles, pourtant fort belles, de la soprano d'origine suédoise Malin Hartelius et celle de la contralto Nathalie Stutzmann. L'une et l'autre donnent le sentiment de ne pas trouver leur marque dans cet environnement. Attendue avec gourmandise par le public, la « petite rose rouge » de la Lumière primitive s'en est trouvée un brin pâlotte. On espère une meilleure disposition pour l'une des plus authentiques voix de contralto dans le concert « Prima Donna » prévu en fin de semaine à l'Opéra de Monte-Carlo.
Malin Hartelius.Nice, le 5 décembre 2011
Jean-Luc Vannier
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