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Par Jean-Luc Vannier

La soprano Elena Mosuc nous entraîne dans la folie de « Lucia di Lammermoor » au Deutsche Oper de Berlin

Des soixante et onze opéras écrits par Gaetano Donizetti, le drame tragique en trois actes « Lucia di Lammermoor » créé le 26 septembre 1835 au Teatro San Carlo de Naples sur un livret du napolitain Salvatore Cammarano demeure l'un des plus célèbres ouvrages du compositeur né à Bergame en 1797. Sur fond de rivalités entre les clans Ashton et Ravenswood dans l'Écosse de la fin du xvie siècle, la funeste destinée de Lucia et d'Edgardo, où la démence mortelle de la première précède de peu le désespoir suicidaire du second, fournit la trame d'une œuvre connue notamment pour son admirable sextuor de la fin du second acte et l'air de la folie, vocalement très exigeant, chanté par l'héroïne à l'acte III. Il y avait donc foule ce dimanche 30 décembre au Deutsche Oper de Berlin pour assister à cette « cent vingt-quatrième » représentation depuis la première jouée à la Bismarck Strasse le 15 décembre 1980.

Elena MosucElena Mosuc (Lucia di Lammermoor). Deutsche Oper Berlin 2012. Photographie © Bettina Stöß.

Une précision inscrite sur le programme qui permet d'éclairer les orientations de la culture lyrique outre-Rhin, bien différentes de celles élaborées dans l'Hexagone. Dans la dizaine de jours d'avant le « Rutsch », l'entrée dans la nouvelle année, le Deutsche Oper dont un livre récent de photographies célèbre le centième anniversaire (Leo Seidel, Hundert Jahre Deutsche Oper Berlin, Geschichte und Geschichten aus der Bismarck Strasse, Editions Braus, 2012) présentait ainsi : « La petite Renarde rusée » de Leos Janascek, « L'Amour des trois oranges » de Sergueï Prokofiev ainsi que son ballet « Roméo et Juliette », le « Barbier de Séville » de Rossini et l'opéra de Donizetti. Rien que cela.

Lucia di Lammermoor. Deutsche OperLucia di Lammermoor. Deutsche Oper. Berlin.2012.Photographie © Bettina Stöß.

Une telle noria de programmations possède ses qualités et ses défauts et l'on était en droit de redouter une faiblesse dans la production d'hier soir. Celle-ci est venue de la mise en scène et des décors : les rochers de carton-pâte et la fontaine des premiers tableaux de l'acte I pouvaient être pudiquement qualifiés par les autochtones eux-mêmes de « datiert », entendez : d'un autre âge. Le mobilier apparu aux actes suivants a pu créer un semblant de volume. C'était sans compter sur la mise en scène d'un classicisme figé de Philippo Sanjust où les chanteurs, statiques, se plantent au milieu du plateau. Ce qui accentue, hélas, le sentiment de sécheresse scénographique. Une mélomane néerlandaise assure qu'il s'agit là d'une « tradition germanique ».

Lucia di Lammermoor. Deustche Oper. Berlin 2012Lucia di Lammermoor. Deustche Oper. Berlin 2012. Photographie © Bettina Stöß.

Fort heureusement, la direction musicale et la distribution rehaussent sans conteste la valeur de cette performance. Malgré sa tendance à couvrir certaines des voix, la ligne du maestro espagnol Guillermo Garcia Calvo s'impose en rigueur et en douceur à l'Orchestre de l'Opéra de Berlin : la harpiste Virginie Gout-Zschäbitz et le flûtiste Eric Kirschhoff accompagnent au millimètre près la rêverie amoureuse de Lucia au deuxième tableau de l'acte I et lors de sa fatale aliénation à l'acte III.

Elena Mosuc (Lucia di Lammermoor). Deustche Oper. Berlin.2012. Photographie © Bettina Stöß.

Dotée d'une superbe voix aux aigus limpides et brillants qu'elle enchaîne sans sourciller, Elena Mosuc réussit toutes ses interventions. Sans réserve aucune. Dès son apparition à l'acte I et son magnifique « Regnava nel silencio » jusqu'à son final « Spargi d'amaro pianto », la soprano roumaine  accumule d'amples ovations, méritées à la fois pour son talent lyrique et pour l'investissement en densité dramatique de son personnage. Dans le rôle de son frère Enrico, le baryton Georges Petean peut se targuer de son impressionnante puissance vocale mais son jeu scénique demeure limité. Plus émouvant par les nuances qu'implique le caractère d'Edgardo, le ténor espagnol Celso Albelo — un habitué de Donizetti après son « Tonio » dans la « Fille du régiment » de novembre 2012 à l'Opéra Bastille —  bouleverse le public dans les deux dernières scènes de l'acte III par les déchirantes intonations de sa détresse. Mentionnons la belle prestation de la basse arménienne Arutjun Kotchinian (Raimondo) à la voix claire et d'une imposante force projective. Autant d'aptitudes qui offrent, entourées des chœurs magnifiques de l'Opéra de Berlin, un très respectable sextuor à l'acte II et, in fine, une « Lucia » berlinoise de qualité.

Berlin, le 31 décembre 2012
Jean-Luc Vannier


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