La richesse du travail scénographique n'en fait pas moins pleuvoir des trombes d'eau au surgissement de la Reine de la nuit dont la robe déployée devient un écran récepteur d'images. Cette opulence voit se multiplier les effets spéciaux, fait glisser des personnages de toboggans ou les fait apparaître de tiroirs géants : autant d'habiles artifices à même d'accentuer la dimension fantasmatique de cet opéra créé au Theater auf der Wieden à Vienne le 30 septembre 1791 et destiné à mettre en exergue les finalités humanistes de la Franc-Maçonnerie au sein de laquelle le compositeur autrichien avait été initié en décembre 1784. Un humanisme philanthropique et progressiste doublé d'un universalisme qu'illustre, dans cette production, l'astucieuse et emblématique exploitation des langues d'origine des chanteurs : le Tamino russe interroge le Papageno allemand dans la langue de Pouchkine pour savoir sur quelle planète il se trouve. Au début de l'acte II, des interprètes traduisent en anglais et en français, les paroles solennelles de Sarastro. La fraternité des symboles ne connaît pas de frontières.
Alexey Dolgov (Tamino). Photographie © D.Jaussein.Toute cette intensité créative, insufflée dans la théâtralisation et dont la jeunesse des protagonistes ne constitue pas le moindre des atouts, se développe toutefois aux dépens de la mesure opératique de l'œuvre. Toutes les voix semblent retenues, minorées, « light » : un vrai paradoxe au regard de l'engouement manifeste des artistes. Mise à part celle de la basse roumaine Balint Szabo dans le rôle de Sarastro, incapable d'atteindre les graves sans risquer la complète rupture, tous les interprètes donnent le sentiment de brider leurs capacités vocales malgré l'éclat et la vitalité dont ils témoignent dans l'incarnation de leur personnage. Le ténor russe Alexey Dolgov (Tamino) et la soprano sud-africaine Sarah-Jane Brandon (Pamina) chantent leurs airs avec une aisance remarquable, une fine distinction et une rare justesse. Mais sans vigueur. La soprano russe Olga Pudova (La Reine de la nuit) exécute à l'acte I sa déploration maternelle avec conviction et, à l'acte II, son grand air de reine « furieuse » contre sa fille avec des aigus superbes et cristallins. Mais sans puissance et encore moins de rage. Le Viennois Clemens Unterreiner campe un Papageno jovial, magnifique d'authenticité et de spontanéité, mais dont nous aurions aimé entendre davantage les aptitudes, pressenties ici ou là, de baryton. Greg Warren dans le rôle Monostatos et Emmanuel de Negri dans celui de Papagena font de même. En clair : ces chanteurs nous mettent l'eau à la bouche, mais nous laissent in fine sur notre faim.
Sarah Jane Brandon (Pamina) et Clemens-Unterreiner (Papageno). Photographie © D.Jaussein.Alexey Dolgov (Tamino) et Olga Pudova (La Reine de lanuit). Photographie © D.Jaussein. Olga Pudova (La Reine de la nuit). Photographie © D.Jaussein.
L'impeccable direction musicale de Leopold Hager ne semble pas en cause. De par son expérience viennoise — Orchestre Mozarteum de Vienne, directeur du Volksoper et du Staadtsoper dans la capitale autrichienne — le maestro domine le plateau dont il guide avec précision les chanteurs, adultes, choeurs de l'Opéra de Nice et les enfants de la Maîtrise de l'Opéra National du Rhin, tout en impulsant de l'énergie à l'orchestre philharmonique de Nice. Des musiciens qui, lors des répétitions, pointaient ses « exigences », mais louaient ses « capacités pédagogiques » à les atteindre. Malgré ses faiblesses, sans doute apparentes et qui ne demandent qu'être être surmontées, ce spectacle plaisant permet en outre de mieux faire passer les messages contenus dans le livret d'Emanuel Schikaneder. Comme le chante le quintette du premier acte délivrant, comme l'apprenti après quelques mois passés sur les colonnes, Papageno de son silence : « Si tous les menteurs du monde avaient un tel cadenas sur les lèvres »
Clemens-Unterreiner (Papageno) et deux des Trois dames (Joanna-Mongiardo, Lydia-Rathkolb, SvetlanaLifar). Photographie © D.Jaussein.Greg Warren (Monostatos). Photographie © D.Jaussein.
Nice, le 11 février 2013
Jean-Luc Vannier
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Mardi 27 Février, 2024