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Caen, 10 janvier 2013, Alain Lambert

La compagnie Wayo en répétition publique au Centre chorégraphique de Caen

L'année 2012 s'est terminée, dans le local laboratoire du Centre chorégraphique de Caen, avec Masculine(s) [voir notre chronique], sept corps de femmes (dé)livrés aux stéréotypes masculins. Ce début d'année 2013 prolonge indirectement cette interrogation existentielle avec trois corps masculins cette fois, deux noirs et un blanc, trois têtes, six bras et cinq jambes pour questionner la différence c'est-à-dire la rivalité, le conflit, la territorialité, le rejet, mais aussi la complicité... pour 2 séquences du spectacle à venir I-like me [m'aime pas mal], en création au Havre fin janvier.

La musique d'abord, comme le dit explicitement le programme distribué aux spectateurs, jouera un rôle important à partir de la richesse instrumentale du groupe Bumcello, duo composé de Cyril Atef et Vincent Ségal, basé sur l'improvisation, sans que chacun ne renie sa différence tant musicale que culturelle.

Compagnie Wayo

Une longue méditation de violoncelle accompagne la première séquence qui déroule deux fois la même histoire, celle de la défense du territoire par trois êtres le plus souvent à quatre (ou trois) pattes, avec des postures de mâles dominants, se fuyant, s'accompagnant, se repoussant, en joggings noir et blanc, avec des gants de boxe pour soulager les poignets (mais l'accessoire de confort pourrait bien perdurer vu sa dimension fortement symbolique) et des protège-dents qui accentue le caractère animal et primate recherché par le chorégraphe. Puis dans la variation suivante, sur la même musique et la même chorégraphie, les corps des danseurs ne sont habillés que de shorts aux couleurs des drapeaux nationaux (au moins pour le Kenya et la Grande-Bretagne), d'épaulettes et de fourragères de la Légion étrangère française, et d'une chemise vichy dont ne subsistent que les manchettes, le col, et une bande cravate. Et encore les gants et les protège-dents.

Compagnie wayo

De la défense territoriale des animaux aux déplacements militaires, il n'y a qu'un pas, et l'homme ne s'est toujours pas plus redressé dans ce deuxième mouvement, tout en tournant autour du « ring » dessiné au sol (même si la pièce finale prévoit un espace différent).

Mani A.Mungai propose ici une première réponse aux questions qu'il pose dans le programme : Pour cette création, je souhaite interroger le thème de l'Homme re-dressé, debout, sur une ou deux jambes [...] Cependant, j'ai lu quelque part que le singe est peut-être plus intelligent qu'on ne le pense, car il aurait décidé de ne pas se redresser pour éviter que l'Homme ne l'asservisse. La position debout pour les animaux comme pour l'homme est-elle un aboutissement ? [...] Peut-être cela a-t-il à voir avec le pouvoir ?

Dans une lettre à David Hume, Rousseau avait fait une remarque semblable pour expliquer son mutisme pendant son exil anglais, en supposant que les singes ne parlent pas pour éviter qu'on ne les mette au travail. Car le langage et les langues sont aussi une des questions de ce travail, comme l'explique le chorégraphe dans l'intermède de discussion avec le public.

compagnie wayo

La lecture d'un texte en français sur la Légion étrangère, par un anglophone puis un francophone, démarre la seconde séquence, avant que la batterie de Bumcello ne fasse entendre un rythme militaire répétitif et lancinant, ponctué de courtes phrases de violoncelle et de sons électroacoustiques divers. Les trois danseurs restent quasiment sur place cette fois, agitant mécaniquement sur ce rythme à deux temps les gants et les pieds, la tête le plus souvent cachée, car quand ils sont redressés, le mouvement de balancier, comme dans ces mobiles décoratifs où les billes au bout de leur fil se cognent et se repoussent, finit par envoyer un poing sur un crâne, et le regard meurtrier qui suit en dit long sur cette humanité qui cherche, dans la répétition mécanique et illusoire, à cacher ses différences.

Un travail prometteur de ce jeune chorégraphe et danseur d'origine kenyane, francophone et anglophone, dont la compagnie Wayo est basée à Évreux. Il sera peut-être au programme d'un prochain festival Danse d'ailleurs du Centre chorégraphique de Caen. En attendant, il faudra aller au Havre pour assister à la création du spectacle complet les 25 et 26 janvier.

Les deux autres danseurs complétant le trio, également chorégraphes, sont l'Anglais John Bateman, et le Kenyan Dalmas Otieno, aussi athlète paralympique.

En tournée à Évreux le 29 janvier puis Brest en mars, à Tours en juin... Voir le calendrier et les infos sur le site de la compagnie Wayo.

Alain Lambert
13 janvier 2013


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