Si la musique, langage universel et sans frontière, est et reste l'une de meilleures façons d'extérioriser les états d'âmes par des effets sonores, le chant lui, fruit pur et simple de l'activité vocale, a, mieux que le parlando, la particularité d'être plus proche au langage humain. L'évidence de la dualité musique-parole, composantes indissociables et étroitement liées dans le chant, fait ainsi de ce dernier l'une des manifestations musicales les plus évoluées.
Il va donc de soi que son rôle même dans la musique collective ne puisse être qu'avant-gardiste.
L'avènement de la polyphonie (vers les années 900), véritable révélation et révolution artistique, a permis au chant de transcender les frontières d'âge et de sexe. Le quatuor vocal soprano-contralto-ténor-basse formant les choeurs modernes auquel peuvent s'ajouter des voix intermédiaires (mezzo et baryton) est un exemple non moins éloquent de la noble vocation de l'art choral d'unir les voix et donc les cours des hommes, quelles que soient leurs dispositions vocales naturelles.Si chanter est un désir naturel pour tout être humain, Chanter en choeur est un désir naturel pour tout peuple. Le chant choral est donc universel. Il ne dévaluera ni ne disparaîtra.
Sa vocation d'unificateur, de mobilisateur et de rassembleur, sa simplicité et son esprit d'hospitalité légendaire, sa haute culture d'égalité et de discipline ainsi que son exceptionnelle pédagogie de groupe font de lui, un art très populaire et naturellement incontournable.
Il devra en effet, mériter une attention très particulière dans toute société.
Il n'y a pas de peuple sans chant, Il n'y a que de peuple sans instruments. Dans les sociétés congolaises, voire traditionnelles et comme presque partout ailleurs, le chant occupe une place de choix dans les rites, les cérémonies d'initiation ou d'intronisation, les fêtes, les deuils, les cultes, les mythes ainsi que dans la célébration d'événements divers.
Nation aux dimensions continentales, la R.D.C. est un véritable scandale culturel. Ses plusieurs centaines d'ethnies, offrant la diversité de tendances et d'énormes potentialités constituent un véritable soubassement pour une dynamique culturelle de grande envergure. De tous les temps, on ne cesserait de reconnaître au peuple congolais sa promptitude ainsi que sa remarquable spontanéité au chant.
Dans les années 70 et 80, avec la bénédiction et le soutien du pouvoir de l'époque se sont proliférées des formations musicales au style proche au choeur dont, les légendaires groupes de petits chanteurs et danseurs (cas des groupes de Nkenge, Chem-chem Yetu,.), les mémorables groupes d'animation politique jadis créés dans toutes les provinces du pays et le nostalgique mouvement des pionniers ayant surtout conquis les milieux scolaires et dans lequel slogans et chants étaient mis en valeur.
Sur le plan artistique, qu'on se le dise, le résultat était flatteur. Il n'est pas étonnant de retrouver des milliers des chorales au Congo. Les églises locales ou paroisses, déjà en nombre astronomique, en comptent en moyenne trois ou quatre.Dans les cultes ainsi que d'autres cérémonies, les moments les plus émotifs et chaleureux sont souvent ceux pendant lesquelles sont exécutés des chants d'ensemble.
Ainsi, Les Congolais, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux ont donc assez prouvé qu'ils adorent chanter.
Le chant choral au Congo est essentiellement religieux. Très rares sont les formations chorales exploitant des répertoires profanes ou évoluant en dehors des édifices sacrés.
Le mouvement choral a réellement pris ses formes avec l'arrivée des missionnaires catholiques, protestants et autres. Ainsi les mentalités et conceptions d'outre-Atlantique y ont inéluctablement pris racines. Leurs traces sont encore loin d'être complètement effacées.
Jusqu'au début des années 80, le chant choral a presque totalement incarné la musique religieuse. Déjà entre fin 70 et début 80, période constituant l'âge d'or du mouvement choral au Congo, bien de formations ont relativement pu hausser leur niveau et atteindre une certaine maturité.
On n'oubliera pas si vite les grands succès récoltés par certaines chorales ayant pu effectuer des voyages à l'étranger ainsi que celles ayant fait la pluie et le beau temps au pays. Pendant cette période, le mouvement a donc pu effectivement évoluer et garder son caractère populaire.
Les styles de choeurs
Les styles les plus populaires sont au nombre de trois à savoir : les choeurs à voix égales (Hommes et Femmes) et les choeurs mixtes. les choeurs d'enfants sont rares.
A coté de ces différents styles de choeur, se multiplient à l'heure actuelle des groupes en nombre petit ou grand, en général mixte, interprétant des chants populaires, d'adoration, de louange et d'animation, et se faisant généralement accompagner comme des orchestres de variété. Ces choeurs évoluant très souvent en opposition avec un ou plusieurs solos vocaux se font communément appeler « groupes d'adoration ».
Depuis toujours à tendance éclectique et voire cosmopolite, le répertoire choral congolais n'a pas encore réussi à se taper une véritable identité, à l'exception de quelques communautés, églises ou sectes restées quelque peu introverties. Vu de façon macroscopique ou globale, il parait clairement dénué d'homogénéité. Il y a donc à trouver dans cette hétérogénéité artistique, tout un amalgame de forme et de style dont :
1.- les œuvres propres à la liturgie (cas des églises catholique, protestante et quelques sectes)
2.- les pièces de différentes formes tirées des répertoires des époques classiques, baroques, romantiques et de la renaissance : Haendel, Mozart, Beethoven, Bach, Mendelssohn sont des auteurs les plus interprétés.
3.- le gospel et negro-spiritual américains traduits et chantés en langues vernaculaires.
4.- les cantiques traditionnelles, produits de manifestations culturelles originales authentiques et propres à chaque ethnie.
5.- les negro-folk, afro-gospels, negro-classiques et autres complaintes inspirées, œuvres originales d'innombrables et talentueux compositeurs congolais, résultant du métissage presque réussi du triade : « classique-spirituals-chansons traditionnelles ».
*L'accent africain est plus saillant soit dans le rythme, l'échelle des tons, Les phonèmes, les enchaînements mélodiques isorythmiques et typiques ou soit dans la dynamique d'expression qu'ils inspirent.
6.- les chansons populaires et d'animations, en général cantiques de louange, d'adoration ou de supplication destinés aux assemblées. Leurs auteurs étant très rarement connus, ils constituent bien souvent la proie facile à capturer de bon nombre de musiciens traités d'artistes à court d'inspiration par une certaine opinion. Et leurs premières sources furent les sectes ayant existé avant les groupes et assemblées charismatiques.
* L'église kimbanguiste qui est restée fidèle à ses traditions artistiques possède un riche répertoire choral dont les chants et complaintes inspirés. Le chant choral a cappella a su garder sa vitalité et son ampleur de toujours.
* L'église catholique, outre ses traditionnels chants propres dont les messes chantées en latin ou français (sanctus, credo, agnus dei, kyrie) possède un répertoire similaire œuvres des compatriotes, adoptées dans la liturgie au terme de sérieuses censures. Les œuvres classiques et autres chansons populaires locales constituent le répertoire parallèle.
* L'église protestante, véritable carrefour de différentes tendances chorales, a incontestablement été le théâtre des clivages et métamorphoses qu'ait connu le mouvement choral dont les influences ethniques, tribales, sectaires, doctrinales, idéologiques, philosophiques, conservatrices, charismatiques, prophétiques et rationalistes. Aux cantiques et chants liturgiques harmonisés (hymnes, chorals, cantates, motets,...), s'ajoutent d'autres chansons classiques, le gospel, le spirituals, le folk ainsi que d'autres styles traditionnels exploités dans certaines communautés ; C'est le cas du kilombo (CEC), du rythme yombe, teinté de kintueni (CEAC) ainsi que bien tant d'autres (Mongo, Yanzi, thsikete, ...).
* Les églises post-missionnaires communément appelées églises de réveil, qui en général exploitent le répertoire protestant, ont beaucoup plus intégrer les chansons populaires et d'animations très souvent accompagnées.
a) Le sort du répertoire congolais
Le répertoire choral congolais n'a vraiment pas connu une spectaculaire croissance tant qualitative que quantitative ces dix dernières années. Nous ne cesserons malgré ce constat de déplorer le manque d'initiative pour la protection et la sauvegarde du riche patrimoine déjà acquis. Comble de paradoxe ! Alors que l'information a atteint un degré extraordinaire de manipulation et de conservation, les œuvres chorales congolaises continuent à avoir pour seul musée ou sinon mausolée, les pauvres paperasses enfouies dans des armoires à la merci des rongeurs de tout genre. Courant donc le danger d'une disparition lente mais certaine, heureusement prévisible, il est donc grand temps que le Congolais en prenne conscience et se réveille avant qu'il ne soit trop tard.
b) Le filet de l'électronique.
Faute d'adaptation, le progrès technologique réalisé en électronique au profit de la musique constitue un véritable séisme pour le style choral a cappella. Prises dans le filet de l'électronique, bon nombre des chorales se sont laissées tenter ou ont presque été séduites. Elles sont dans la plupart des cas prisonnières de l'aberrante opinion soutenant l'idée du caractère « démodé » de la musique chorale a cappella. C'est ainsi que dérapent facilement ces choeurs qui, perdant la tramontane, se font irrationnellement accompagnés en dénaturant par voie de fait, le chant choral par la présence des instruments souvent mal choisis ou très mal associés ainsi que par la pratique fréquente du play-back, qui parfois à cause des caprices et infidélité de cette même électronique choquent les auditeurs.
c) Quelque peu victime de l'exode artistique
Le surprenant essor de la musique chrétienne de variété au Congo a quelque peu bouleversé le monde choral. Véritables icônes incarnant virtuellement la voie de la réussite ou du succès, les grandes stars actuelles de variétés chrétiennes jadis chefs de choeur ou choristes et premiers prototypes du phénomène de conversion artistique, ne cessent d'inspirer bon nombre de leur contemporains et surtout la jeunesse au point que ces derniers soient obstinément convaincus de leur emboîter les pas. Il s'est donc vite crée une sorte de magnétisme se manifestant par un désir ardent et farouche de conversion surtout dans les chefs des choristes qui, de façon précipitée voire prématurée s'improvisent dans la carrière en se livrant au tâtonnement. Mine de rien, cet exode artistique, dans sa face noire n'a pas épargné le mouvement choral congolais.
d) Un géant pour l'Afrique
Pays au coeur de l'Afrique et partageant les même frontières avec un grand nombre des pays voisins, sa vocation de leadership n'est plus qu'évidente. L'exploitation croissante de son riche répertoire dans les milieux surtout ecclésiastiques de la région (Afrique centrale) en constitue une preuve. Ainsi soutenir ou brader le mouvement choral en RDC, c'est en faire autant pour l'Afrique en général et l'Afrique centrale en particulier.
e) Le mouvement choral est-il marginalisé ?
La question mérite d'être posée. En effet, ce n'est un secret pour personne que :
1°) L'absence quasi-totale des chorales dans les grandes cérémonies officielles,
2°) La subordination notoire du rôle des choeurs dans le style de célébration des cultes charismatiques.
On se rappellera que les moments les plus forts dans ces types de culte (adoration, louange, intercession,...) n'ont pas laissé assez de chance aux chorales et aux choristes qui, en fait ont donné leurs coeurs, mais pas leur art,
3°) L'extrême rareté de l'apparition des formations chorales dans l'espace audio-visuel, les chaînes chrétiennes n'en font pas exception, et bien d'autres raisons encore, nous poussent à croire à une certaine marginalisation du mouvement choral, malgré sa relative popularité. Ainsi les chorales, quelque peu enclavées, semblent verser dans une sorte de stress d'exclusion.
Qu'on n'oublie pas de sitôt l'apport du mouvement choral à la musique au Congo.
La plupart des grands chanteurs et musiciens d'aujourd'hui en sont issus.
Ils doivent ainsi une éternelle reconnaissance à ce mouvement qui, à cause de ses valeurs sociale, artistique, culturelle et spirituelle, mérite une attention toute particulière.
Une réelle et véritable prise de conscience est nécessaire pour son réveil ainsi que son éveil. Le Congo dispose d'innombrables et d'immenses potentialités pour ramener son mouvement choral au sommet et le voir ainsi se hisser à l'échiquier mondial de musique chorale.
Ainsi donc tombent à propos les suggestions ci-après :
* La création des choeurs dans les écoles et grandes entreprises,
* La création des chorales dans les municipalités et provinces,
* La mise sur pieds des programmes spéciaux d'enseignement de la musique aux niveaux primaires et secondaires,
* La création des structures pour la protection, la sauvegarde, la promotion et l'enrichissement du patrimoine choral congolais.
* La publication des livres et recueils de chant choral écrits en solfège et en tonic solfa.
* L'organisation de grands festivals, compétitions et concours nationaux voire internationaux de musique chorale car, comme le sport (qui parfois même divise voire dangereusement les équipes), la musique, dotée d'inexpugnables vertus surtout dans sa forme chorale, est susceptible d'unir fortement les peuples et de créer entre-eux des liens solides et surtout durables.
Des grandes initiatives sont est vivement souhaitées.
Faisant foi à ses valeurs et vertus suffisamment prouvées ainsi qu'a la dimension historique qu'a déjà pris l'art choral au Congo, nous affirmons tout haut qu'il est possible de compter avec ce dernier pour la relance du processus de développement intégral de la RDC.
KUA-NZAMBI TOKO
Prof. Assistant d'Université
Auteur-Compositeur
Directeur musical du CHOEUR LA GRACE
Membre de la Fédération Internationale de Musique Chorale.
Représentant de ACHONET en RDC
BP 1416 KIN 1, DR Congo
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Dimanche 25 Février, 2024