Parmi leur collection de fac-similés intitulée «
Dominantes », les éditions Fuzeau proposent au public les
Six sonates pour le clavecin à l'usage des Dames de Carl Philipp
Emmanuel Bach. Au sein de la monumentale production pour le clavier de cet
auteur, ces sonates occupent une place un peu particulière. La notion de
musique « à l'usage des dames » appelle quelques commentaires pour le
musicien de nos jours, de même que le style de ces sonates (wq 54)
publiées par J. J. Hummel, à Amsterdam, en 1770.
Pendant les quelques trente années berlinoises passées
à la cour de Frederick le Grand, Carl Philipp Emmanuel a grandement
développé d'idiome de la sonate pour clavier, lui conférant peu à peu une
théâtralité de même qu'une expression propres à l'
Empfindsamkeit.
Mais ces six sonates que l'auteur emporte dans ses
valises lorsqu'il s'installe à Hambourg, en 1766, relèvent de caractères
plus légers, plus concis. Répartissant leurs trois mouvements sur trois à
quatre pages seulement, elles sonnent un peu comme des prolongements de
l'art de la miniature d'un Domenico Scarlatti. Préférant la facilité à la
virtuosité, cette musique est, sans doute, destinée à l'espace privé des
salons, dans une époque où le concert pour clavier existait peu ; on
comprend alors le sous-titre ainsi que le public qu'elles visent.
Malgré son titre, le lecteur apercevra que ce n'est
sans doute pas au clavecin que le compositeur destinait ces œuvres. En
effet, on trouve ici peu d'ornements et, surtout, un jeu dynamique précis
qui ne peut se destiner au clavecin. On pense donc soit au nouveau
pianoforte, soit au clavicorde. La deuxième moitié du XVIIIe siècle
représente l'âge d'or du clavicorde, instrument dont Carl Philipp Emmanuel
Bach s'était fait construire un exemplaire spécifique de grande taille,
avant de se consacrer au pianoforte dans les deux dernières décades de sa
vie. Dans sa méthode publiée à Berlin (1753), il précise même que le
clavecin est destiné à la musique puissante (orchestre ou chambre),
pendant que le clavicorde est davantage réservé au répertoire solo.
L'indication « clavecin » serait donc une erreur de l'éditeur, sans doute
guidé par un souci commercial. Erreur qui, hélas, se retourne à présent
contre l'éditeur moderne, qui n'a pas fait figurer sur sa page de titre la
possibilité de jouer cette musique au pianoforte…
L'appareil critique conçu par Miklos Spanyi est
remarquable, il fournit une très bonne introduction présentant ces pièces
dans leur contexte éditorial et stylistique. La gravure originale de
Hummel est d'une belle lisibilité. Les difficultés rythmiques que la
notation d'origine suscite (par exemples triolets non indiqués) et les
ornements sont bien explicités. Seul un tableau chronologique, mêlant
maladroitement les œuvres et éléments biographiques de Carl Philipp
Emmanuel à ceux de son père, nuit un peu, selon nous, à la qualité
éditoriale de ce travail.
Saluons donc cette parution qui, au-delà des femmes
clavecinistes, s'adresse à tous ceux qui sauront retrouver poésie et
délicatesse dans le toucher de leur clavier.
Jean Duchamp.
Département « Musique et Musicologie »,
Université Lumière–Lyon 2.
Table des matières
- Présentation par Miklos Spanyi : L'œuvre pour clavier de C.P.E. Bach,
les six « Damensonaten », choix édiorial, liste des corrections et des
variantes de lecture
- Sonata I en fa majeur : allegro, allegro
- Sonata II en ut majeur : allegretto, andantino grazioso
- Sonata III en ré mineur : allegro ma non troppo, larghetto,
prestissimo
- Sonata IV en si b majeur : allegretto, andantino ciciliano,
presto
- Sonata V en ré majeur : allegretto grazioso, andante, poco
allegro
- Sonata VI en la majeur : allegro di molto, larghetto.
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