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Ambronay, 4 et 5 octobre 2014, par Frédéric Norac ——

Festival d'Ambronay : Émergences et résurgences

35 ans après sa création, Ambronay demeure plus que jamais un des hauts lieux de la musique ancienne et baroque, un de ceux où se rencontrent les grands noms d'hier et d'aujourd'hui dans les concerts de prestige des soirées de l'Abbatiale mais aussi ceux des valeurs montantes qui en portent l'avenir, les musiciens de demain, et même ceux  d'après demain.

William Christie à Ambronay en 2014 William Christie à Ambronay. Photographie Bertrand Pichene.

Ce dernier week-end aura été en ce sens exemplaire, avec un splendide concert où William Christie faisait retour pour un programme de grands motets où, à côté du Quam dilecta et du célèbre In convertendo de Rameau — anniversaire oblige — il nous offrait la découverte de deux œuvres du rare Mondonville, étonnantes dans leur subtil mélange de réminiscences lullystes et d'italianisme. Une exécution éblouissante où les chœurs et l'orchestre des Arts florissants se révèlent au meilleur d'eux-mêmes, maîtrisant comme jamais le grandiose style baroque français et ses prolongements au xviiie siècle. On ne se donnera pas le ridicule de faire la critique d'un tel maître. Tout ici est parfait et si, parmi les solistes, la basse paraît un peu juste, on note la présence de deux splendides voix de sopranos, Rachel Redmond au joli timbre fruité et Katherine Watson, dont la voix centrale et soyeuse rappelle un peu celle de la jeune Véronique Gens. On est heureux de retrouver le très expressif baryton de Marc Mauillon et le beau haute-contre de Cyril Auvity. Et même si le chef a placé son concert sous le signe d'un hommage à trois grands disparus (Christopher Hogwood,  Jacques Mercier et Frans Brüggen) et choisi en bis un funèbre  Kyrie (en fait un contrafactum dont la musique est extraite de Castor et Pollux et qui fut paraît-il joué aux funérailles de Rameau lui-même), on sent qu'au-delà du traumatisme de ses ennuis de santé récents, c'est sa propre vitalité retrouvée qu'il célèbre, avec une générosité inédite, en concluant la soirée à travers trois bis qui lui valent une standing ovation unanime.

Ensemble Pygmalion à ambronayL'ensemble Pygmalion à Ambronay. Photographie Bertrand Pichene.

Le lendemain, c'était au tour de Raphaël Pichon et de son Ensemble Pygmalion de nous emmener sur les terres luthériennes avec un programme de cantates unissant trois générations de Bach autour de la thématique de la  fête de Saint-Michel. Le chef prouve ainsi sa capacité à maîtriser des langages musicaux étalés sur un siècle et demi, depuis le monumentalisme de la polyphonie à 22 voix de Johann Christoph jusqu'au style théâtral, annonçant déjà le Sturm un Drang, de Carl Philipp Emmanuel. Le Heilig ist Gott de ce dernier où se répondent « le choeur des Anges » et le « choeur des Peuples » avec d'étonnants effets chromatiques, est un petit chef-d'œuvre d'évocation et de spectaculaire.

Plus classiques les cantates de Johann Sebastian donnent l'occasion à d'excellents solistes de briller dans quelques beaux airs et duos, tant au plan vocal qu'instrumental. Les trompettes très exposées sont brillantissimes et toujours parfaitement justes, la flûte toute en souplesse, délectable, et le basson d'une totale délicatesse. Si l'on connaît déjà parfaitement les qualités de la soprano Ana Quintans, du contre-ténor Damien Guillon ou de la basse Stephen MacLeod (remplaçant Christian Immler), on découvre un jeune ténor anglais au style impeccable et au timbre captivant en la personne de Nick Pritchard. Le chœur parfaitement idiomatique dans les chorals conclusifs, tout comme l'orchestre, répond au doigt et à l'œil à la direction sans faille de son énergique jeune chef.

En marge de ces magnifiques concerts, c'est une nouvelle initiative, un véritable festival dans le festival, qui aura particulièrement retenu notre attention. Baptisée « Eeemerging » pour European Emerging Ensembles, cette initiative, soutenue par le programme Europe créative culture réunit huit institutions européennes1 dans une même volonté d'apporter leur soutien à de jeunes formations qui portent l'avenir de la pratique baroque, sous la forme de résidences et d'une aide à la professionnalisation.

Excellence et nouveauté auront été les maîtres mots de cette journée qui aura permis d'entendre quatre ensembles de qualité — en résidence cette année au Centre culturel de rencontre d'Ambronay — dont au moins deux devraient rapidement faire parler d'eux.

Ensemble seconda Pratica Ensemble Seconda Pratica. Photographie Bertrand Pichene.

Celui que nous a particulièrement conquis par son originalité, sa capacité de communication et de partage, son énergie, est Seconda Pratica, un ensemble profondément atypique dans ses choix de répertoire comme dans son identité musicale. Composé d'un quatuor de chanteurs et de six instrumentistes, en totale osmose, il nous a offert un moment de dépaysement et de pure jubilation avec  un programme merveilleusement composé qui unit musique religieuse vernaculaire d'Amérique latine du xviie siècle et musique d'église européenne de la même époque, transposée dans un registre local, avec quelques inserts totalement inclassables où la sensibilité de chacun s'exprime. Rien de démagogique dans cette proposition mais un subtil mixage des genres et des styles maintenu à un rare niveau d'excellence grâce à une recherche remarquable et des interprètes dont la personnalité transparaît à chaque instant.

De très haut niveau également l'ensemble Voces Suaves, huit chanteurs qui explorent les trésors de la polyphonie da camera du xvie au début du xviie siècle à travers un programme entièrement consacré à la musique à la cour des Gonzague de Mantoue, de Giaches de Wert à Monteverdi, avec une homogénéité et une perfection quasi instrumentale. La prestation de la Botta Forte en revanche déçoit. Les solistes — pourtant excellents individuellement — n'arrivent pas à s'unir en un véritable ensemble et, surtout la soprano Magali Arnault Stanczak qu'ils accompagnent dans deux cantates de Francesco Mancini et de Haendel, laisse une impression désagréable de minauderie et d'affectation qui, alliée à des aigus acides et forcés, disqualifient sa prestation.

Il était revenu à l'Armonia degli affetti d'ouvrir le matin la manifestation avec un programme permettant de découvrir à côté de pièces de Monteverdi, de Barbara Strozzi et Tarquinio Merulo, deux pièces d'un mystérieux compositeur — Niccolo Fontei Orcianese — sur le thème « Chanter d'amour ». Le long monologue en récitatif, quasi une scène d'opéra, de Merulo permet à la basse Tiago Daniel Mota de faire valoir une voix superbement timbrée et une grande expressivité. Beaucoup d'ornements et un certain maniérisme dans le style du contre-ténor Flavio Ferri-Bendedetti  apportent une certaine théâtralité à son chant qui n'est pas mal venue dans ce répertoire.

Si l'on ajoute à ce panorama, un ensemble de propositions « pédagogiques » en direction du public familial comme ce concert didactique en après-midi de l'ensemble Les Esprits Animaux intitulé « le B.A. - BA du baroque », on comprendra que la vitalité et la richesse des propositions de ce festival a de quoi surprendre en ces temps de récession et de coupes budgétaires.

plume Frédéric Norac
10 octobre 2014

1. Le Centre culturel de rencontre d'Ambronay, Ghislieri Musica de Pavie, l'Université de musique de Bucarest, le festival Haendel de Göttingen, Seviqc Brezice de Ljubijana, le centre de musique ancienne de York, le centre de musique ancienne de Riga et Oznango productions à Strasbourg qui réalisait à cette occasion une captation destinée à fournir à ces ensembles un clip pouvant servir à leur promotion.


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