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1er décembre 2014, par Jean-Luc Vannier ——

Escapade brésilienne en pleine année russe pour l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo

Facétie des programmations musicales, souvent déterminées plusieurs années à l'avance : c'est en pleine année de la Russie à Monaco que l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo proposait, dimanche 30 novembre, une escapade brésilienne avec Impressioni Brasiliane d'Ottorino Respighi et Uirapuru, poème symphonique du compositeur Heitor Villa-Lobos. Soirée néanmoins éclectique puisque figuraient aussi au menu Schelomo, rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre d'Ernest Bloch avec la soliste Natalia Gutman et Don Juan, poème symphonique, opus 20 de Richard Strauss. La direction fut toute brésilienne avec le maestro John Neschling, natif de Rio de Janeiro.

John NeschlingJohn Neschling. Photographie © DR.

Ainsi ballotée d'un style continental à l'autre, l'oreille des mélomanes se plut à voyager. Comme le firent à Rio et Sao Paulo en mai 1927 Ottorino Respighi et son épouse avec pour résultat les Impressioni Brasiliane : ces dernières débutent par une Notte tropicale aux torpeurs impressionnistes où les sons s'interpénètrent comme ces lumières bigarrées d'un soleil couchant à peine altérées par quelques notes du hautbois (Philibert Perrine, venu tout droit de l'orchestre de l'opéra de Paris où il vient d'être engagé), puis, dans Butantan, mouvement nettement plus sombre des pizzicati des violoncelles d'où s'échappe une mélodie grave du basson. Avant, dans le troisième mouvement, d'égrener les mesures plus rythmées par la trompette (Matthias Persson) de la Canzone e dansa. Une partition dont les interventions au début et à la fin du célesta (Héloïse Hervouet) tintent étrangement comme ces musiques de films aux scénarii magiques diffusés pour les fêtes de Noël.

La seconde pièce nous ramène, malgré l'existence américaine de son créateur, au sein du continent européen et de la culture ashkénaze : écrite en 1916, au cœur de son « Cycle de musique juive », la rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre Schelomo (Salomon en hébreu dans la transcription allemande) d'Ernest Bloch fut créée à New York en mai 1917 sous la direction du compositeur. Cette pièce virtuose qui multiplie sonorités luxuriantes, resserrements de rythmes et crescendi fiévreux suscite, dans les trois mouvements Lento moderato, Allegro moderato et Andante moderato, un dialogue tendu entre le déchaînement orchestral et la plainte fragile du violoncelle dont l'auteur fera sa « voix infiniment plus grande et plus profonde qui pourrait parler toutes les langues ». Elève de Mstislav Rostropovitch, la violoncelliste Natalia Gutman, qui vient juste de célébrer ses soixante-douze printemps le 14 novembre dernier, fut la « grande dame » de cet instrument. De cette gloire incontestable, elle emprunte encore une capacité d'interprétation qui privilégie l'humanisme de l'exécution à la rigueur de la sonorité et l'inspiration mélodique à l'austérité du tempo. Elle n'est sans doute pas aidée par une direction musicale dont le réel souci de créativité sied davantage à un musicien qu'à un chef d'orchestre : au risque de perturber les enchaînements entre les pupitres, en particulier celui des cordes, et la violoncelliste. Peut-être serait-il plus pertinent d'inviter la célèbre soliste à une exceptionnelle Master Class où elle nous raconterait, ponctuée de ses interventions musicales, sa vie d'une fascinante richesse et forte, à coup sûr, d'enseignements pour les instrumentistes comme pour les passionnés d'histoire de la musique. Avec ce même sens du partage, elle offrit en « bis » les bourrées de la 3e suite en do majeur de J.S. Bach.

Natalia GutmanNatalia Gutman. Photographie © Beni Kaufmann.

En deuxième partie, retour au Brésil avec Uirapuru, le poème symphonique d'Heitor Villa-Lobos dont c'était dimanche la première exécution sur le Rocher. Sur ce nom d'oiseau brésilien très coloré, réputé pour la beauté de son chant d'amour, le compositeur né à Rio de Janeiro en 1887 crée un conte fantastique mêlant folklore local nourri de parcours initiatique — Indiens en recherche et transformation sublimée à l'issue d'une mort terrestre — et sources européennes. Exubérance des sonorités dont celle d'un saxophone soprano (François Leclaircie) figurant le mystérieux foisonnement de la faune et de la flore amazoniennes — dont des suraigus au violon de Liza Kérob — et où l'auteur « laisse chanter les rivières et les mers de ce grand Brésil ».

La rupture avec ce monde imaginaire d'outre-Atlantique fut d'autant plus brutale que l'interprétation du Don Juan, poème symphonique opus 20 de Richard Strauss par John Neschling abonda en tutti et forte qui effacèrent, hélas, la fine singularité de cette œuvre pourtant annonciatrice en palimpseste d'une libération de l'influence wagnérienne chez le compositeur munichois. « Le désir, la possession et le désespoir », les trois axes de cette partition donnent néanmoins l'occasion d'un dialogue amoureux entre le hautbois et la clarinette (Véronique Audard) avant de laisser percer une ultime réminiscence mahlérienne lors d'interludes orchestraux. L'orchestre philharmonique a donné, dans ces circonstances qui n'étaient pas des plus favorables, le meilleur de lui-même.

Monaco, le 1er décembre 2014
Jean-Luc Vannier
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