La Vestale, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie Vincent Pontet - WikiSpectacle.
Ce que l'opéra de Spontini doit à la tragédie réformée de Gluck est évident dès les premiers accords de la magnifique ouverture et dans les scènes chorales du premier acte. Un goût du décorum, un sens du religieux, une délicatesse de touche dans l'évocation de sentiments élevés et bien sûr une puissance de la déclamation qui s'exprime dans de grands récitatifs orchestrés.
Ce que la génération suivante des compositeurs y trouvera saute également aux oreilles : une orchestration d'une originalité et d'un raffinement tels que Berlioz en fera un de ses principaux modèles et citera souvent l'œuvre en exemple dans son traité d'orchestration.
La Vestale, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie Vincent Pontet - WikiSpectacle.
La Vestale, première tragédie lyrique française de Spontini date de 1807, année même du couronnement de Napoléon Ier. Avec son thème antique, son austérité, son goût du cérémoniel, elle appartient à une sorte d'art officiel qui peut sembler à première vue une tentative de restauration de la vieille tragédie lyrique. Pourtant elle laisse entendre les linéaments d'une musique d'action, tournée vers le théâtre, qui porte en germe le grand opéra à la française — celui de la génération des années 1820 — dont le compositeur donnera le premier modèle avec son Fernando Cortez de 1809.
La Vestale, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie Vincent Pontet - WikiSpectacle.
Dans sa note d'intention, Eric Lacascade dit avoir voulu donner à l'œuvre des résonances contemporaines, lui rendre une forme de vie qui l'arrache en quelque sorte à son univers de référence, celui du style Empire et de sa reconstitution un peu compassée de l'Antiquité romaine.
Sa mise en scène en réalité ne fait que plaquer un univers esthétique sur un autre. Le jeu d'acteurs expressionniste qu'il impose aux chanteurs verse souvent dans une sorte d'agitation frénétique et triviale en totale contradiction avec la musique stylisée de Spontini.
Dès son premier air, l'héroïne est contrainte à d'invraisemblables contorsions et sa grande scène de l'acte II tout comme son duo avec Licinius oscillent entre l'inconvenant et le ridicule.
La Vestale, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie Vincent Pontet - WikiSpectacle.
Visuellement le spectacle n'est pas moins décalé. Les vestales ont l'air de pensionnaires ou de détenues en chemises de nuit dont la Grande Vestale serait la surveillante. Les costumes masculins, ceux des Prêtres et des légionnaires, nous ramènent dans un univers barbare du genre « heroic fantasy » qui conviendrait aussi bien à Mad Max ou à Conan le barbare.
Si la scénographie d'Emmanuel Clolus s'améliore plutôt au fil des scènes et finit par trouver une certaine pertinence au dernier tableau, dans le dispositif du châtiment de l'héroïne, la mise en place des scènes de foule manque totalement de fluidité et de naturel. Chaque fois que le metteur en scène a une idée intéressante, comme cette ronde des vestales qui introduit le dénouement, il ne peut s'empêcher de la gâcher par une sorte de surenchère ridicule. Les suites de danse qui concluent l'opéra se retrouvent transformées en une sorte de course poursuite tout droit sortie d'un film muet de René Clair, ce qui ne manque pas de provoquer l'hilarité tant elle paraissent incongrues dans un tel contexte.
La Vestale, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie Vincent Pontet - WikiSpectacle.
Dans ces conditions, il faudrait des chanteurs hors pair pour parvenir à sauver le spectacle du naufrage. S'il manque à la Julia sensible et musicale d'Ermonela Jaho la profondeur dans le grave et la stature tragique qui pourrait en faire une grande titulaire, il faut reconnaître que, dans son registre qui est celui d'une certaine fragilité, elle parvient tout de même à faire passer une certaine émotion et l'esquisse d'un personnage. Le reste de la distribution paraît hélas bien sous-dimensionné voire totalement inadéquat, depuis le Licinius détonnant, anti-musical et totalement incompréhensible d'Andrew Richards, jusqu'à la Grande Vestale de Béatrice Uria-Monzon, barrissant désespérément dans une tessiture trop longue pour elle, sans parler même Pontifex Maximus à la ligne approximative de Konstantin Gorny. Seul Jean-François Borras chante dans une langue totalement compréhensible mais il ne semble pas pour autant parfaitement à l'aise dans son air de l'acte III.
La Vestale, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie Vincent Pontet - WikiSpectacle.
Il ne reste au fond à sauver que la lecture cursive, cohérente et raffinée de Jérémie Rhorer même si ça et là les premiers pupitres du Cercle de l'Harmonie laissent entendre quelques limites face à une écriture instrumentale exigeante. Frappante notamment est l'inadéquation du cor dans le prélude du grand air de Julia « Toi que j'implore avec effroi ».
Amener un homme de théâtre à l'opéra peut s'avérer stimulant, à condition qu'il ne se contente pas d'appliquer des recettes et accepte de s'interroger sur l'adéquation de son approche à l'univers auquel il se confronte. Si dans le livret d'Etienne de Jouy, un deus ex machina vient sauver l'héroïne in extremis, on se saurait en dire autant de ce spectacle au terme duquel la Vestale en lieu et place d'une résurrection méritée, paraît bien à nouveau avoir été enterrée vivante.
Spectacle disponible en live et en replay sur Culturebox à partir du 23 octobre.
Diffusion sur France Musique le 2 novembre à 19 h.
Frédéric Norac
20 octobre 2013.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Lundi 12 Février, 2024