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Festival de Saint Denis, Maison de la Légion d'Honneur, 3 juin 2012, par Frédéric Norac.

« Edwin le magnifique » Edwin Crossley-Mercer, David Frey : Lieder de Schubert

La France est prodigue en belles voix de baryton. Nous en avons donné à tous les répertoires d'opéra, italien, allemand, et au nôtre bien sûr, mais le Lied nous a toujours quelque peu échappé, à quelques très minimes exceptions près. Edwin Crossley-Mercer est l'une d'elles. Ce chanteur paraît tellement chez lui dans le répertoire germanique qu'on en oublierait presque qu'il est bien de chez nous, même si l'Allemagne lui est une seconde patrie musicale, puisque c'est là qu'il a débuté et s'est imprégné de cet art si particulier dont son récital Schubert était perfusé de bout en bout.

Edwin Crossley-MercerEdwin Crossley-Mercer © photographie Vikram Pathak.

Passé un premier groupe de Lieder — Wanderers Nachtlied, Die Sterne, Doppelgänger, ce dernier d'une étonnante puissante — où le baryton semble se surveiller, chante techniquement superbement mais encore un peu sur la retenue, vient le moment où, le premier trac, sensible dans une mezza voce un peu fébrile, enfin dompté, l'interprète émerge, se révélant  dans la diversité des tons du récit de « Der Wanderer » ou sa capacité à faire entendre le dialogue des voix de « Der Zwerg ». Jusque là le chanteur semblait donner un aperçu des ses possibilités et de son style, de grande école certes mais d'école tout de même. Et si l'on admirait son sens aigu de la dynamique allié à une extraordinaire clarté de l'articulation —  cette incroyable façon de rendre chaque mot parfaitement audible même dans les plus subtils pianissimi — il manquait encore une peu de vie et de liberté pour que nous soyons tout à fait conquis.

Avec sa deuxième partie, plus riche en atmosphères diverses, ce jeune homme de trente ans à la figure d'adolescent et aux cheveux déjà poudrés de givre, mêle avec bonheur jeunesse et maturité, et commence à jouer avec son auditoire. Rassuré, il installe la complicité qui fait les grands récitals. Il laisse enfin passer ça et là un sourire et s'investit sans réserve dans ces textes dont il semble vivre chaque mot, chaque nuance. On ne peut oublier la finesse de « Sei mir gegrüsst », la grâce de « An Silvia », l'humour délicat de Fischersweise (repris en bis avec encore plus de maîtrise et de chic), l'aplomb aussi de « Abschied »  mais c'est évidemment avec un superbe « Wanderer » suivi d'un « Totengräbers Heimweh », complètement habité et poignant, que l'interprète donne toute la mesure de ses capacités.

A tout un public qui pour une grande partie le connaissait à peine, il a tiré des cris d'enthousiasme : « Magnifique » a-t-on entendu et même « Sublime », au bout d'un concert sans aucune banalité où toutes les nuances de l'univers schubertien, de l'élégie la plus délicate au désespoir le plus noir, ont été évoquées. Le bis s'imposait. Un « An die Musik » d'anthologie, annoncé par le pianiste David Fray dont le soutien pousse la perfection jusqu'à se faire oublier et offre  à cette perle vocale l'écrin d'un accompagnement d'une totale élégance. Le pianiste battait ainsi en brèche la communication du concert qui mettait en avant son nom et sa notoriété plutôt que celle du chanteur, encore réservé aux happy few qui le suivent maintenant depuis quelques années et attendent de le voir émerger dans des rôles de premier plan. Réjouissons-nous car il sera Thésée dans Hippolyte et Aricie à Beaune en juillet prochain.

David FrayDavid Fray © photographie Paolo Reversi.

D'évidence une ombre — ou plutôt un esprit — aura plané d'un bout à l'autre sur ce récital. Celui d'une figure tutélaire du Lied auquel il était impossible de ne pas penser, aussi présente que si le concert lui était dédié, celle bien sûr de Dietrich Fischer Dieskau, auprès de qui  Edwin Crossley-Mercer s'est notamment perfectionné, et auquel inévitablement l'intelligence de son chant, la subtilité de sa compréhension des textes, l'évidence absolue de son talent, à quoi vient s'ajouter la beauté de son timbre profond, ne pouvaient que renvoyer l'auditeur ébloui.

Frédéric Norac
3 juin 20112


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