Créé au Teatro Sant'Angelo de Venise en 1727, Orlando furioso transporte en quatre heures le mélomane du Palais d'Alcina et son jardin des délices jusqu'au temple infernal d'Hécate. Trame respectée vendredi 1er avril dans cette magnifique co-production de l'Opéra de Nice, du Théâtre des Champs-Elysées où elle a triomphé il y quelques semaines et de l'Opéra national de Lorraine. Et ce, malgré l'extrême symbolisation des artifices dramaturgiques prévus dans le livret de Grazio Braccioli : les fontaines magiques censées enflammer les coeurs, les montures ailées pour conduire le Chevalier Ruggiero, les roches envoûtées réputées maintenir Orlando prisonnier et les arbres où les amants inscrivent en vers leur idylle à même l'écorce, deviennent une immense table entourée de quelques chaises au-dessus desquelles plane la vertigineuse beauté d'un lustre Murano. Peu importe finalement : capturé par les rets invisibles de ce dramma per musica, le public sous le charme prend le temps de savourer les sonorités délicates et les rythmes gracieux de ce chef d'œuvre vivaldien avant de se retrouver immergé dans une sordide atmosphère asilaire où s'exacerbent des folies individuelles dignes d'une pièce signée Berthold Brecht.
D.Jaussein.
Rien ne manquait à la brillante réussite de cette performance : en parfaite symbiose avec des lumières toutes de nuit bleutée de Peter van Praet (réalisées par Nathalie Perrier) lesquelles plongent la scène dans de mystérieuses pénombres, les panneaux-décors qui déclinent cette teinte en discrets camaïeux et les sobres costumes de Patrick Kinmonth mettent en relief l'épaisseur tourmentée, chaleureuse ou agressive, des caractères autant que leur énigmatique imprévisibilité. Equilibrée, vivante, évitant — que d'autres suivent enfin l'exemple ! — le statisme coincé lors des arias, la mise en scène de Pierre Audi exploite toutes les ressources offertes par la surface et la profondeur du plateau et instrumentalise avec un haut degré de raffinement les rares objets du décor. Son travail parvient à réaliser l'harmonie entre des talents d'acteur et les qualités lyriques de l'artiste. S'il distingue bien les trois actes en tenant compte de l'inexorable fondu enchaîné entre ariosos et récitatifs, le directeur artistique de l'Opéra d'Amsterdam conserve une cohérence d'ensemble en ne donnant jamais le sentiment de peser sur les évolutions naturelles des chanteurs.
D. Jaussein.
De classe internationale, la distribution vocale séduirait les plus récalcitrants. Dans le rôle titre, et malgré un nécessaire — et un peu long — échauffement de sa voix qui a parasité les vocalises de ses tout premiers airs, la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux investit de son extraordinaire charisme vocal — ses graves sont remarquables — et scénique le personnage d'Orlando. La première Canadienne à être honorée du Prix Reine Fabiola au Concours international de musique « Reine de Belgique » triomphe de démence au troisième acte. La mezzo soprano américaine Jennifer Larmore lui donne une réplique à sa hauteur en incarnant une sublime Alcina dont les accents désespérés de son Oh ingiusti numi de la scène finale lui valent une large ovation. Dans leur superbe duo Belle pinaticelle, la soprano argentine Veronica Cangemi (Angelica) et la mezzo soprano irlandaise Paula Murrihy (Medoro) envoûtent l'assistance tandis que l'infortunée Bradamante chantée par la mezzo soprano suédoise Kristina Hammarström convainc largement dans sa transformation en homme dans l'acte final. Et vint le phénoménal Philippe Jaroussky : en pleins ariosos agités des uns et des autres, l'entrée majestueuse du contre-ténor à la fin de l'acte II annonce la bascule dramaturgique de l'œuvre : sur son air doux et lent accompagné d'une flûte traversière Sol da te, mio dolce amore, Alcina tombe amoureuse. Elle en perdra ses pouvoirs maléfiques. Le public lui aussi se pâme. Il ne cessera de l'applaudir.
D. Jaussein.
Enfin, avez-vous déjà vu un chef d'Orchestre heureux, tout sourire pendant quatre heures de direction musicale ? A la tête de l'Ensemble Matheus dont il est le fondateur, le corse Jean-Christophe Spinosi se délecte visiblement d'une partition qu'il aime et connaît sans doute par cœur. Il entraîne ses musiciens dans son interprétation enthousiaste, obtenant d'eux la précision des attaques ou la soudaine légèreté au sein d'une même mesure. Subtilités musicales qui fondent, entre autres, la singulière richesse de cet opéra.
Nice, le 3 avril 2011
Jean-Luc Vannier
D.Jaussein .
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Dimanche 11 Février, 2024