René Koering : Suite Penthésilée
pour orchestre ; Circles of regrets : sur
des thèmes du quintettes op. 78 de George Onslow,
pour clarinette, violon et cordes ; Nur Penthesilea,
pour soprano et orchestre* / Michel Portal, clarinette
; So-Ock Kim, violon ; Laura Aikin, soprano ; Orchestre
National de Montpellier Languedoc-Roussillon ; Armin
Jordan* ; Alain Atinoglu, dir. (P 2008 - Universal /
Accords 480 0791 - enr. live)
J'avais eu la chance d'écouter,
il y a quelques années, l'orchestre de Montpellier
répéter la pièce Circles of
Regrets dans une version antérieure à
celle présentée sur ce disque, et je dois
dire que j'avais été fascinée par
la beauté de cette musique, mais surtout par
la capacité magistrale du compositeur à
s'approprier ainsi une œuvre du passé pour construire
une musique du présent.
Circles of regrets soulève
dans sa conception la notion d'héritage musical.
L'ouvrage offre en effet la particularité d'être
visité par la thématique, la dynamique
et l'harmonie du quintette à cordes op. 78 de
George Onslow (l'une des dernières productions
de ce compositeur anglo-auvergnat de la première
moitié du XIXe siècle).
La question de l'héritage
est intéressante dans la mesure où elle
fait partie de celles qui se sont posées de manière
cruciale aux compositeurs de la génération
de Koering qui étudièrent à Darmstadt
et qui eurent la difficulté de succéder
à la seconde École de Vienne.
L'on sait combien le travail et les
recherches menées par les musiciens de
Darmstadt allaient contribuer à radicaliser certaines
formes d'écriture (sérielle et postsérielle)
mais également favoriser l'apparition de nouveaux
langages dont certains ne dépasseraient pas le
cadre de l'expérimentation.
Les conséquences en seraient
lourdes en termes de rupture avec le public ! Or ce
qui est intéressant dans la démarche de
Koering, producteur, fondateur et directeur de festival,
c'est cette volonté d'établir un lien
entre le public et la musique.
De même, on le sent constamment
à l'affut d'une découverte, en recherche
d'une œuvre de qualité que la postérité
aurait négligé… En faisant jouer des répertoires
rares et oubliés, il contribue à la réhabilitation
d'un héritage injustement passé sous silence.
On retrouve cette démarche
dans son œuvre de compositeur qui privilégie
l'expression et la sensualité plutôt que
le discours introspectif ou cérébral.
A l'écoute de Circles of regrets
on frissonne en permanence sous la caresse aiguë
d'une expressivité sonore aux contours exacerbés.
La subtilité et la transparence instrumentale
sont quant à elle d'essence mahlérienne.
L'intégration d'une musique
comme celle de George Onslow dans une œuvre néo-tonale
aurait été un non-sens et un échec
à coup sûr. Il fallait au contraire que
le langage du XXIe siècle entre en contact direct
avec celui du XIXe sans fausse passerelle, sans tricherie
et sans artifice.
Il fallait aussi que ce soit l'œuvre
du passé qui « remonte » en surface
et s'inscrive — tel un discret filigrane — dans l'œuvre
du présent.
Circles of regrets oscille
entre deux univers dont les strates toujours parfaitement
lisibles s'imbriquent, se rejoignent, se distordent
avant de se repousser pour s'attirer à nouveau.
Le lyrisme et l'expressivité
intenses, communs aux deux compositeurs, cimentent cette
construction fascinante. La pièce est «
ouverte » ; il en existe déjà deux
versions, il en existera peut être d'autres et
elle est magnifique !
Viviane Niaux 12 mai 2008
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