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23 août 2014, par Eusebius ——

De la polyphonie à la cacophonie : les derniers jours de l'Orchestre Dijon-Bourgogne ?

Photographie © ODB.

Larvé depuis plusieurs mois, le conflit entre l'orchestre et la ville de Dijon est maintenant ouvert. Nombre de médias, dont musicologie, ont publié l'information et relayé la pétition1 initiée par l'orchestre. Communiqués, blogs, commentaires, trop souvent, les arguments donnés, les sous-entendus relèvent d'une certaine mauvaise foi… Qui veut noyer son chien…  Chacun, fort de son bon droit et de sa vérité la clame haut et fort, et l'enlisement se poursuit.

Naturellement ému par l'annonce de la disparition prévisible de l'orchestre, Eusebius a pris contact avec ses responsables, puis la Mairie de Dijon, et l'Opéra, sollicitant de chacun un entretien. L'objet était de faire la lumière, par-delà les polémiques et les questions de personnes, en se fondant sur des faits, avec la perspective d'une solution pérenne et efficace. L'espoir de rencontrer chacun des protagonistes fut déçu, puisque l'adjointe à la culture, en charge du dossier est injoignable, ne communique que par… communiqué. Elle ne peut donc apporter de réponse aux questions précises qu'on souhaitait lui poser. Dérobade, mépris, calcul ? Madame la 13e adjointe a encore beaucoup à apprendre en matière de relations publiques2. Les autres interlocuteurs, le Président et le Directeur de l'ODB, tout comme le Directeur de l'Opéra se sont prêtés de bonne grâce à l'exercice, nous les en remercions

Si, entre la ville et l'ODB, le feu couvait sous la cendre, l'incendie ravageur s'est déclaré fin juin. Créée dans la douleur en 2009 à partir de l'Orchestre de l'Opéra, cette formation a été externalisée par la municipalité au bénéfice (?) d'une association qui gérait déjà un ensemble plus chambriste que symphonique, comme son nom l'indique : la Camerata. Une convention arrêtait le cahier des charges, comprenant notamment l'obligation annuelle de deux prestations lyriques et de plusieurs concerts symphoniques ou chambristes à l'Opéra de Dijon. Tous les musiciens, et leurs contrats étaient transférés3, avec leurs obligations de services. Les moyens abondés par la ville devaient permettre d'assurer le développement et le rayonnement régional, voire national de la nouvelle formation. Le renouvellement de cette convention en décembre 2012, ne sera pas signé par l'ODB. Si maintenant les blessures d'amour-propre des anciens de l'Orchestre de l'opéra (bien médiocre formation, il faut l'écrire) se rouvrent, et un passé davantage mythique que réel est évoqué, les premières années virent la collaboration fructueuse entre l'orchestre, la ville et l'opéra.  La qualité des prestations progressait sérieusement, et le professionnalisme se renforçait à la faveur du recrutement pour trois ans, en mars 2013, de Gergely Madaras, lauréat du concours de Besançon. Or, fin mars 2013, la défection tardive de l'ODB pour le Ring, monté à l'Opéra, outre qu'elle mit en péril la réalisation de cet extraordinaire projet, conduisit la ville à attribuer à l'Opéra le complément de financement pour permettre la réalisation du projet. En bonne logique — à en croire les signataires de la convention renouvelée — la subvention de la ville à l'ODB pour 2014 fut d'autant minorée. Ainsi l'orchestre a-t-il épuisé ses moyens de paiement. La ville ayant refusé une contribution supplémentaire4, la disparition de l'orchestre semble la seule issue.

Seul point d'accord entre la ville et l'ODB : les moyens actuels — même s'ils étaient abondés — ne permettraient pas d'assurer la pérennité de l'orchestre. De l'audit, rien ne filtre, officiellement, mais des chiffres circulent… Le mutisme absolu de la Ville, surprenant, ouvre la porte à toutes les hypothèses, allant de la suppression pure et simple aux arrière-pensées (on libère ainsi la Chapelle de l'Hôpital général, promis à devenir Cité de la Gastronomie), ou à des plans machiavéliques. « La Ville et la Région ne veulent pas d'orchestre » affirme le Président de l'orchestre. La Région n'a-t-elle pas investi dans la voix (Cité de la voix à Vézelay, Arsys dont la qualité et le rayonnement sont indéniables) ? On n'ose y croire.

Hélas, si — rapidement — la ville de Dijon ne crée pas les conditions du dialogue, le conflit ne peut que s'envenimer, avec des conséquences désastreuses pour tous. Plus de 5000 signataires de la pétition à ce jour, de nombreux messages de soutien, la perspective d'un grand concert gratuit — largement médiatisé — lors de l'anniversaire de Rameau, auquel participeraient des musiciens de la France entière, les recours contentieux préparés par les musiciens et leur syndicat en direction des Prud'hommes et du Tribunal administratif n'ont rien de réjouissant. La programmation 2013-2014 est pour le moins compromise. L'Opéra, dont la saison commence le 12 septembre, va devoir renoncer à son premier concert, mais aussi, vraisemblablement, à quatre autres productions, dont Le Barbier de Séville (4 représentations en février). Le préjudice moral et financier est considérable.

Depuis les Eduens, chers à Vincenot, les mentalités bourguignonnes auraient-elles si peu changé ? Dijon, entre son passé glorieux hérité des Grands-Ducs et un avenir prometteur, peine à trouver ses marques. Bien que sa majorité municipale ait été reconduite, un certain flottement est perceptible dans la conduite des affaires depuis l'accession de François Rebsamen à des fonctions ministérielles. Le patriotisme local demeure vivace (« et je suis fié –er…d'être bourguignon ! »), et l'orgueil parfois excessif. Les baronnies départementales et communales de la région, jalouses de leur pouvoir, freinent des quatre fers toute initiative dijonnaise et se contentent ainsi le plus souvent d'une médiocrité confortable… Charbonnier est maître chez soi.

« Dijon a besoin d'une volonté, nous sommes à sa disposition » déclare le président de l'ODB. De volonté, la ville a su faire preuve pour l'extraordinaire rénovation urbaine réalisée à la faveur de la création de deux lignes de tramway. Puisse-t-elle ouvrir ce nouveau chantier, avec la même détermination, en concertation avec tous les partenaires !

Un orchestre professionnel, à temps plein s'impose-t-il ? La réponse semblerait aller de soi. L'Auditorium est non seulement un joyau architectural, mais surtout un formidable outil de diffusion musicale, dont le rayonnement et la notoriété sont incontestables. Les résidences, les ensembles associés, si prestigieux soient-ils, ne sauraient se substituer à un orchestre régional, irriguant l'ensemble de son territoire. Les orchestres de nos régions françaises ont pour la plupart fêté leurs quarante ans. C'est-à-dire qu'il a fallu à nombre d'entre eux une génération pour atteindre à une reconnaissance unanime. Très rares sont les régions qui n'en sont pas dotées.

La Bourgogne compte au moins quatre autres orchestres symphoniques : Chalon-sur-Saône, Nevers, Auxerre et Mâcon. Le plus souvent constitués autour d'une Ecole Nationale de Musique, ce ne sont pas pour autant des formations négligeables. La Franche-Comté, promise à la fusion avec la Bourgogne, est riche de l'Orchestre Victor Hugo-Franche-Comté (Besançon), et d'orchestres symphoniques à Lons-le-Saunier et Pontarlier. Sans en amoindrir la vitalité, n'y aurait-il pas place pour un authentique orchestre de grande région, professionnel, à temps plein, avec une double vocation, symphonique et lyrique, permettant un rayonnement dépassant les frontières traditionnelles de l'influence de nos villes ? D'autres ont su le faire et ne s'en plaignent pas… Cependant, les coûts de fonctionnement sont considérables, outrepassent les moyens d'une ville de la taille de Dijon, et les limites de leur activité bien connues5.

Foin des querelles de clochers, de personnes et des guerres picrocholines ! Il y a lieu de renouer le dialogue, pour refonder, avec pragmatisme et souplesse, une formation pérenne en fédérant tous les efforts. Le bon sens retrouvera-t-il enfin ses droits, au bénéfice de tous ? Puisse cette crise majeure déboucher sur la création d'un outil performant et durable. C'est ce que nous appelons de nos vœux.

Eusebius
23 août 2014

1. Ses attendus et les commentaires des signataires sont instructifs (et affligeants) : en substance, nos politiques, dans une volonté de réaliser des économies, sacrifient la culture, se débarrassent de l'orchestre, ce qui prélude à d'autres disparitions dans l'Hexagone. Langage propre à séduire les pétitionnaires indignés, pour la plupart de bonne foi. Après les péripéties relatives aux intermittents du spectacle — où le précédent maire de Dijon, François Rebsamen, devenu ministre, n'a pas été épargné — cette affaire permet à ses détracteurs de se remobiliser. Ainsi s'amalgament à une certaine bourgeoisie conservatrice les défenseurs de la culture, les mélomanes et la contestation corporatiste. On ne se range jamais à des arguments vérifiables, mais à des affirmations qui relèvent de la communication et à sa sensibilité musicale et/ou politique.

2. Par ailleurs directrice marketing et communication de l'École de commerce. Où a-t-elle donc appris à communiquer ?

3. 44 titulaires sont concernés, les autres musiciens relevant du régime des intermittents ; nombre d'entre eux enseignent au CNR.

4. Se fondant sur un audit réalisé en juin, dont les résultats ne sont pas portés à la connaissance des intéressés. Le  communiqué de la ville, accablant (« gestion imprudente »), et la réponse de l'orchestre sont accessibles sur le site de l'ODB.

5. Les orchestres ne peuvent être en tournée internationale et assurer les programmes symphoniques et lyriques in situ, Angers-Nantes ne sort guère de son territoire, Lille limite au maximum son activité lyrique au bénéfice du rayonnement international, par exemple.


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Vendredi 9 Février, 2024