À la demande du festival Jazz sous les pommiers et du Théâtre de Caen, en partenariat avec la Maîtrise de Caen et deux chorales de collèges, l'une de Caen, l'autre de Périers dans la Manche, le pianiste et compositeur américain Bill Carrothers a été invité, avec son groupe et un chœur de jeunes américains, à retracer en musique la période autour du débarquement [voir notre chronique].
La générale avec l'ensemble des choristes. Photographie © Théâtre de Caen.
Le pianiste a choisi de décrire l'ambiance musicale qui précède cet événement à travers des standards évoquant la douceur des années quarante aux USA. Mais déjà des chants de propagande préparent l'entrée en guerre, ainsi que ceux des soldats anglais et un poème de soldat russe.
À part Moonlight Serenade, à l'arrangement un peu lourd des voix, les autres morceaux, souvent chantés en duo par le couple Carrothers, et relevés ou repris par les choristes, retrouvent cet esprit proche de la comédie musicale, insouciant et joyeux, même dans la propagande. A nightgale sang voit arriver sur scène un petit maîtrisien, genre Petit Nicolas, qui siffle le thème comme un merle ou un pinson, bravement, sous le regard attendri du nombreux public. Le chœur — les caennais en polos colorés, les américains en gilets et cravates rouges, les collégiens en blanc — est un peu comme un big band. Le contrebassiste Drew Gress et le batteur Dré Pallemaerts, swingent à merveille, et le tromboniste Max Acree dialogue avec le pianiste, qui, pour une première, chante aussi bien qu'il improvise. Jusqu'au Noël blanc de Bing Crosby, le dernier avant de partir, suivi par le poème russe, Wait for me, chanté par Peg Carrothers, très émouvant.
« Le merle siffleur ». Photographie @ Théâtre de Caen.
La lumière s'éteint et les voix, accompagnées de la batterie, de percussions et du piano dissonant, se mettent à crépiter, à bombarder en survolant les plages de Juno, d'Utah, d'Omaha, dans un bruitisme syncopé et symbolique entrecoupé d'extraits chantés d'un poème de Longfellow, d'un discours de Roosevelt, d'une prière pour un monde meilleur.
Ensuite, les inscriptions du Mémorial de Caen (« La douleur m'a brisé, la fraternité m'a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté ») et du cimetière américain de Colleville (« Ils ont tout enduré, tout donné... ») sont reprises par les enfants, la première en français et en anglais.
Enfin, une longue sonnerie aux morts. Les combats sont terminés.
Et le dernier standard Happy Days, retrouve un peu l'ambiance de la première partie, mais quelque chose a changé. Le pianiste ne chante plus, la chanteuse semble perdue et décalée face au chœur qui a tout bouleversé, comme le voulait d'ailleurs le compositeur. Rien ne sera plus jamais comme avant.
Un projet « monumental » donc, cette cantate jazz, plutôt réussi, avec 120 chanteurs, dont la moitié de « pros ». Une contrainte qui n'a pas dû être facile à gérer, sur le plan artistique et stratégique, par le directeur de la Maîtrise de Caen, Olivier Opdebeeck, les collégiens n'intervenant pas constamment.
A noter aussi le programme distribué, très détaillé concernant les titres et le sens des morceaux, inhabituel dans les concerts de jazz.
On peut réentendre à Coutances, bien sûr, à JSLP ce jeudi, puis à Sainte-Mère-Église en plein air et gratuitement samedi 31 mai à 21h, un autre lieu clé du débarquement.
Les deux maîtrises. Photographie @ Théâtre de Caen.
Alain Lambert
27 mai 2014
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