D. Tovey :
C'est la seule fugue à deux voix de tout le Clavier bien Tempéré, tels de nombreux préludes à deux voix et inventions de Bach entièrement écrit en contrepoint double. L'épisode 1 présente le contresujet 2 fois ( mes. 5-9). L'épisode 2 ( mes. 15-18) consiste en un dialogue en contre-chant, de deux nouvelles figures. Le reste de la fugue consiste en un renversement en double contrepoint des 19 premières mesures.
H. Keller :
Cette fugue serait la seule fugue à 2 voix que Bach aît pu écrire. Nous trouvons deux sections d'égale longueur, et symétriquement construites (mes. 1-19 et 20-39) … une coda de 4 mes. Les divertissements prennent beaucoup d'importance dans une fugue à 2 voix. Le premier divertissement ( mes. 5-10, 24-29 dans la deuxième section) continue le dessin initial en trois séquences de marche d'harmonie, chaque séquence occupant 2 mes. Le deuxième divertissement ( mes. 15-19, 34-38) utilise l'arpège du sujet en valeurs augmentées ( en croches) et lui oppose sur le premier temps un motif en mouvement conjoint qui est tiré du contre-sujet (mes. 3).
D. Tovey et H. Keller s'accordent pour affirmer que cette œuvre serait la seule fugue à deux voix du Clavier bien Tempéré et constatent qu'elle est bâtie sur deux sections d'égale longueur. D. Tovey remarque- avec justesse- que cette fugue ressemble à de nombreux Préludes et Inventions à deux voix de Bach.
Il parle d'une œuvre dense -construite entièrement en contrepoint double- avec l'apparition de deux nouvelles figures à la mesure 15 alors que H. Keller, en revanche, insiste plus sur l'absence du sujet, dans une fugue à deux voix et met plutôt l'accent sur les nombreux divertissements qu'elle renfermerait. Les divertissements pour H. Keller seraient issus soit du sujet ou du contresujet. Pour D. Tovey il s'agirait d'épisodes, le premier bâti sur le contresujet et le second réalisé avec du matériel neuf.
L'analyse de D. Tovey est la plus crédible. Basée plus sur le contrepoint, il parle d'une œuvre dense et admet qu'un épisode ferait appel à deux nouvelles figures.
La lecture de H. Keller se base uniquement sur le principe de la fugue d'école dans laquelle tout ce qui n'est pas sujet consisterait en des épisodes ou des divertissements de peu d'intérêt. C'est encore ce type d'analyse qui est reproduit dans les deux dernières récentes études qui concernent le Clavier bien Tempéré.
Mais en est-il bien ainsi ?
Fiche technique
Tonalité : mi mineur
Type d'exposition :
A + B
+
5 contrepoints
Type de contrepoint : simple, double renversable
Structure : permutation des thèmes, aucune strette
Légende des couleurs
Vert foncé : sujet 1
Rouge foncé : sujet 2
Orange : contrepoint 3
Gris : contrepoint 4
Brun : contrepoint 5
Prune : contrepoint 6
Pêche : contrepoint 7
Noir : contrepoint de passage
Contrairement à ce qu'affirment D. Tovey et H. Keller, il existe une seconde fugue à deux voix dans le Clavier bien Tempéré. Il s'agit du prélude vingt (BWV 889/1) du second Livre. Les deux sujets sont encore introduits ensemble, simultanément, à la manière ancienne. J.-S. Bach utilise encore souvent cette technique pour introduire les deux premiers sujets dans les Inventions à deux et trois voix ( BWV 776, 777, 780, 782, 783, 795, 801). Dans la fugue qui nous concerne, J.-S. Bach utilise pour introduire les deux premiers sujets la technique moderne qui lui vient de D. Buxtehude. F. W. Marpurg précise clairement ce mode d'exposition des différents sujets :
La première voix peut exposer le second sujet aussitôt que l'exposition du premier sujet est réalisée, pendant que la seconde voix chante la réponse du premier sujet. L'introduction de ce second sujet se fait généralement après un petit silence, de sorte que la différence entre les deux sujets soit perceptible.
Après l'exposition des deux premiers sujets, le compositeur énonce à deux reprises — à la basse — le second sujet. Cette technique lui est familière car nous la retrouvons dans les fugues BWV 874/2, mes. 2, 3, 4, 5 ou encore dans la fugue BWV 888/2, mes. 3 et 4. du second Livre. Au- dessus du second sujet le compositeur introduit alors un troisième sujet — encore selon la technique moderne — en sucession de ce même second thème. J.-S. Bach introduit le plus souvent les sujets en sucession et sans aucun silence. Ensuite à la mesure 9, le compositeur introduit à nouveau deux autres sujets cette fois à l'ancienne manière et il reproduit le même processus à la mesure 15 en introduisant à nouveau deux nouveaux contresujets. La mesure 19 sert de transition car elle reprend le contrepoint 6 pour le traiter en contrepoint simple ordinaire avant de renverser la totalité des propositions thématiques.
Si on considère l'ensemble de ce qu'on appelle les épisodes ou divertissements on doit bien constater — si on fait preuve d'un peu de bonne foi — qu'il sont mieux représentés que le sujet lui-même dont on fait si grand cas dans les analyses. Le fait qu'il soient présentés en renversement et non en contrepoint simple en font des sujets à part entière. En outre, on remarque que le contresujet n'accompagne pas nécessairement le sujet et est traité plus souvent que son « Maître ». C'est un sujet autonome.
On le comprend bien l'analyse à un sujet conduit à une multitude de divertissements. L'analyse polythématique — en revanche — propose une œuvre plus cohérente, plus dense, plus proche de l'esprit de l'Art de la Fugue.
En fait : Une simple histoire de fromages !
Directement en relation avec ce contexte d'analyse thématique, je pense avoir décelé dans cette œuvre une petite inversion de deux notes à la mesure 39. Toutes les éditions reprennent la même graphie y compris le manuscrit original. Je pense qu'il s'agit là d'une faute d'inattention du Maître. Ce faux pas intervient à la fin de l'œuvre et cela n'est peut être pas un hasard ; la fatigue peut-être ? Cela pourrait aussi peut- être témoigner de la vitesse à laquelle J.-S. Bach composait ? En effet il n'y a aucune raison logique — dans une musique aussi contrainte — qu'il eût à apporter ce petit changement. Les propositions thématiques dans ses œuvres sont toujours reproduites le plus souvent « à l'identique ». Nous ne sommes pas ici dans le contexte d' œuvres romantiques pour piano ou plusieurs redites sont agrémentées de légères variantes.
Prélude et fugue en mi mineur BWV 855, en couleurs avec les analyses de Claude Charlier. Format PDF en très haute définition, 5 €, ou voir ici.
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Mardi 6 Février, 2024