Note de lecture
par Jean-Marc Warszawski
Professeur à la section de musicologie de l'Université Libre de
Bruxelles, directrice du beau musée des instruments de la ville de
Bruxelles, directrice de collection aux éditions Mardgaga, Malou Haine est
connue dans le monde de la musique. Elle a publié de nombreux ouvrages.
Elle récemment publié, chez Mardaga un livre sur la mise en musique
des textes de Jean Cocteau dans lequel, après une partie rédigée
substantielle, elle offre un dense matériel documentaire raisonné.
Elle adopte ici le même principe, somme toute judicieux.
Le ténor Ernest Van Dyck est né en 1861 à Anvers dans une famille
d'industriels. Après des études de droit à Louvain et à Bruxelles, et une
activité amateur de chanteur, il est journaliste à Paris. Il étudie
le chant auprès de Saint-Yves Bax (1829-1897), professeur au Conservatoire
national. Il prend également des cours auprès de Jules Massenet et
d'Emmanuel Chabrier. Il fait ses débuts à Paris en 1883 dans la cantate
Paul Vidal, «Le Gladiateur» sur un texte d'Émile Moreau qui concoure pour
le Prix de Rome.
Le 3 mai 1887, à l'Eden-Théâtre de Paris, il chante en français le
rôle-titre lors de la création intégrale française de Lohengrin de Wagner.
C'est son vrai début qui est suivi par le succès à l'Opéra de vienne, au
Metropolitan Opera de New York, au Covent Garden de Londres, à
Saint-Petersbourg, Prague, Budapest etc. Il se distingue
particulièrement dans les œuvres de Massenet et de Wagner.
L'étude de Malou Haine est circonscrite à la carrière que fait Ernest
van Dyck au festival de Bayreuth dirigé par Cosima Wagner (Richard Wagner
est mort en 1883).
Le 3 mai 1887, parmi les spectateurs de l'Eden-Théâtre, il y a Adolf
von Gross, intendant général du Festival, accompagné de son épouse.
Hermann Levi, un des chefs d'orchestre du festival, quant à lui,
assiste à la répétition générale. Le jeune Siegfried Wagner (1869-1760),
séjournant à Paris, incognito en raison des manifestations
anti-wagnériennes, rate la représentation pour des raisons de calendrier
scolaire.
En septembre Van Dyck auditionne à Munich devant le clan Wagner, puis
devant Cosima en personne. Il fait une énorme impression, il semble
être le ténor attendu en vain depuis des années. Il est engagé pour
la saison de 1888. Mais c'est à l'Opéra de Vienne, en novembre 1887 que
Van Dyck chante pour la première fois Lohengrin en allemand.
Il doit parfaire sa diction en allemand et préparer le rôle de Walther
von Stolzin des Meistersinger. Le chef d'orchestre Felix Mottl et le chef
de Chœur Wilhelm Bopp sont chargés de diriger ce travail.
C'est le début d'une histoire d'enthousiasmes et d'admirations
mutuelles, de conflits où s'opposent les impératifs des nombreux
engagements du chanteur et sa disponibilité dans le lourd dispositif de
préparation des spectacles de Bayreuth, mais aussi des divergences sur la
conception des rôles. Il y a rupture, puis retrouvailles, et une
séparation définitive avec la première guerre mondiale.
On suivra cette histoire avec plaisir par la lecture des 107 lettres
échangées par Cosima Wagner et Ernest Van Dyck, publiées en seconde partie
du livre et en regardant la riche iconographie, sorties des archives
familiales Van Dyck. Mais à mon sens, ce livre vaut surtout par sa
première partie.
Richement documentée (et préparée par plusieurs études depuis plusieurs
années), cette partie nous ouvre de manière vivante le monde du festival
de Bayreuth côté décideurs dès après la mort Richard Wagner. Le style de
la maison, les choix esthétiques mais encore les règles disciplinaires, sa
vie mondaine, l'air musical du temps.
Puisque nous sommes en l'année Mozart, laissons Ernest Van Dyck rendre
un hommage à la modernité de son temps. Le 16 septembre, avant son
audition devant Cosima Wagner, il se rend avec Hermann Levi à une
représentation d'Idoménée de Mozart : « Vieillerie insipide, exhumation
inutile mais archaïquement intéressante pour moi. Une musique cuite par
Gluck et saucée par Mozart. Acteurs consciencieux mais maniérés et
ridicules. Heinrich Vogl en tête et Madame Weckerlin.» [p. 13-14]
Présentation de l'éditeur
Le ténor belge Ernest Van Dyck (1861-1923) est l'un des interprètes
wagnériens les plus renommés de son époque. Le 3 mai 1877, lors de la
création parisienne de Lohengrin à l'Éden-Théâtre, il chante le rôle-titre
et se fait remarquer par les émissaires de Cosima Wagner. Celle-ci
auditionne le chanteur et l'engage pour le festival de Bayreuth de 1888.
Pendant neuf saisons, Ernest Van Dyck sera l'interprète incomparable de
Parsifal, salué par une presse unanime.
Les relations entre Ernest Van Dyck et Cosima Wagner
n'ont cessé d'évoluer à la manière d'un pendule, de l'admiration la plus
vive à la déception la plus cruelle. Elles se déroulent tel un opéra.
L'entente cordiale occupe l'acte I qui prend place entre 1887 et 1894 : on
assiste à la préparation des rôles pour les Festspiele de Bayreuth et aux
répétitions devant leurs décideurs. Les exigences de « Frau Meister »
témoignent de l'esthétique suivie à Bayreuth et de l'enseignement qui s'y
donne. Le ténor belge s'y plie, mais entend se faire respecter : les
premières escarmouches surgissent. En 1895, le désaccord entre le ténor et
Cosima éclate. Nous sommes à l'acte II : le chanteur belge est exclu de
Bayreuth pour plusieurs saisons, mais les liens ne sont pas totalement
coupés. La fin d'un rêve se concrétise à l'acte III lorsque Van Dyck
revient à Bayreuth en 1911 : l'enthousiasme est néanmoins brisé de part et
d'autre.
La correspondance inédite entre Ernest Van Dyck et
Cosima Wagner est rassemblée ici pour la première fois. Abondamment
illustré de photographies d'époque, cet ouvrage ravira non seulement les
wagnériens passionnés, mais aussi un large public qui découvrira les
décors et costumes d'époque, ainsi que les artistes qui ont chanté avec
Ernest Van Dyck. Trois photomontages exceptionnels, datant de 1894,
illustrent les différentes scènes de chacun des actes de Parsifal, à la
manière de nos bandes dessinées modernes.
Professeur à l'Université Libre de Bruxelles, Malou
Haine est également conservateur du Musée des instruments de musique de
Bruxelles.
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