musicologie   29 avril 2011

Actualité . Biographies . Encyclopédie . Études . Documents . Livres . Cédés . Annonces . Agenda . . Abonnement au bulletin . Analyses . Recherche + annuaire . Contacts . Soutenir .  twetter rss
29 avril 2011 —— Jean-Marc Warszawski.

Histoire contre mémoire : du rififi pour le nom d'un auditorium à la Sorbonne

À propos de la « Réponse à une « pétition », de Jean Gribenski (https://is.gd/o3HTHb)

Lorsque j'ai appris, par hasard, que ça polémiquait ferme à Paris 4 musique autour du baptême d'un auditorium au nom de Jacques Chailley, cela m'a amusé. Je trouvais assez curieux qu'on puisse avoir l'idée de nommer de ce nom un bâtiment public, et surtout qu'on puisse monter au créneau pour cela. Par contre, il me semblait évident qu'on puisse s'y opposer, et je pensais que c'était le cas de la majorité des collègues. La publication d'une « pétition » (demandant quoi et à qui ?) visant à discriditer un historien sans aborder le fond de la question, montre que cela était moins folklorique que je le pensais.

On peut penser que Jacque Chailley (1910-1999)  fut une gloire de la musicologie, on peut avoir la liberté de ne pas le penser. Le fait qu'il soit méritant de la République est une autre affaire.

D'abord parce que depuis le colloque de 1999, « La vie musicale sous Vichy », le comportement de la direction du Conservatoire national dont Jacques Chailley, sous le régime pétainiste, est documenté : du point de vue du mémoriel républicain, ce n'est pas spécialement glorieux, documents d'archives et témoignages à l'appui..

Aussi parce que l'œuvre musicale et musicologique de Jacques Chailley me laisse indifférent, je n'y vois pas grand intérêt, sinon comme une reprise des idées de Fétis (via Pirro). Ce qui était très malin en 1850, l'était peut-être moins en 1950.

Aussi parce qu'il me semble que le grand mérite de Chailley était d'être un activiste des antichambres des pouvoirs, un virtuose de l'administration, imposant en retour ses vues (y compris dans les jurys du secondaire), ses coups bas contre l'Université de Vincennes sont romanesques (c'est comme cela d'ailleurs, pas dans la recherche que j'ai appris son existence).

Aussi, c'est un penchant, je ne comprends pas qu'on dresse des statues à des gloires. Pourquoi, puisqu'ils ont déjà la gloire ? Car si je comprends bien, on veut nommer un bâtiment de la République au nom Jacques Chailley, parce que c'est une gloire de la musicologie ? Ou parce qu'on veut en faire une gloire ? Ou parce que justement, il n'est pas si glorieux que cela et qu'il faudrait qu'il le soit ? Et puis, le culte de la personnalité, ce n'est pas mieux ici  qu'il ne le fut ailleurs.

À ce propos, mon père qui n'a jamais fait cas des honneurs et des médailles, dormant aujourd'hui au fond d'un de mes tiroirs, pour son engagement dans la Résistance, qui a très peu parlé de sa famille assassinée à Auschwitz (comme mon grand-père maternel, également résistant,  à peu parlé du camp de  Mauthausen d'où il a eu la chance de revenir),  s'est pourtant remué, et l'a été, quand les pouvoirs publics ont décidé de donner à quelques rues lyonnaises les noms (étrangers) de Resistants (immigrés), morts au combat, en camp d'extermination ou sous la torture de la Gestapo (ou les coups de la police française).

Il semble qu'on veuille faire de Jacques Chailley, contre l'évidence des archives, un Resistant de la première heure (j'ai même entendu « grand Résistant » !), alors, il faut donner à cet auditorium le nom d'un élève du Conservatoire, exclu, déporté et assassiné en raison de sa confession religieuse juive, ou d'un musicien Résistant y ayant laissé sa vie.  Quel autre vœu pourrait avoir un « grand Resistant » ?

Je me doute bien que vous avez remarqué cette expression « mémoire républicaine ». Car on se situe ici dans un regard sur le passé qui relève avant tout du mémoriel et peu de l'histoire.

Il me semble que les musicologues commencent à lire les historiens épistémologues, comme Paul Veyne, peut-être aussi s'intéressent-ils aux réflexions actuelles portant sur la confusion entre mémoriel et histoire, et l'usage public de l'histoire (voir ici : https://cvuh.free.fr/).

Je rappelle donc que selon Paul Veyne, d'autres, et moi en fin de compte, que sauver la mémoire des gens, ce n'est pas raconter les civilisations passées. Que l'histoire ne juge pas et ne justifie rien. Tout est dans les décisions qu'on prend au présent.

Comprenez, nommer un bâtiment public est une chose qui va bien au-delà du petit cercle des utilisateurs, cela engage le mémoriel de la République.

Voici peu, la commémoration nationale prévue autour de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline a été décommandée sous la pression. Cela ne remet pas en cause son génie littéraire. Sa collaboration active avec le pouvoir de Vichy (pas seulement son antisémitisme), le fait démériter des honneurs mémoriels de la République. On peut être un monument de littérature, et ne pas en être un de la République pour autant. Dans le débat, personne n'a fustigé les historiens.

C'est pourquoi, si tout ce qui précède est discutable, car on est dans le mémoriel, l'affect, le jugement, au contraire, la manière dont on s'en prend à Jean Gribenski, qui en interrogeant les archives en 1999, n'a fait que son travail d'historien, est quant à elle assez déroutante et indigne de l'autorité universitaire. La volonté évidente de discréditer la personne, sans discuter la documentation et son analyse, le refus de  se plonger dans ce que fut cette époque, est décevante, quant à la probité. Jean Gribenski aurait-il transgressé un Tabou ? Violé la loi du silence protégeant le grand homme ?

C'est là la véritable question. Je suis naturellement contre ce baptême, qu'on soit pour ne me gêne pas, le débat, la manifestation, sont des choses normales et précieuses. Mais le procès public qui est fait à Jean Gribenski, dans son travail d'historien est inacceptable, ce n'est pas comme cela qu'on doit mener les débats à l'univerité, c'est en plus un déni de la preuve par le document d'archive et le témoignage : lire à ce sujet : Prost Antoine, « Preuve ». Dans Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies : Concepts et débats [2 v.]. « Folio Histoire », Gallimard, paris 2010, (II) p.853-861.

Jean Gribenski répond aux accusations : https://is.gd/o3HTHb

Jean-Marc Warszawski
29 avril 2011

 

À propos - contact | S'abonner au bulletin Biographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Flux RSS | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Universités françaises | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil ☎ 06 06 61 73 41

ISNN 2269-9910

© musicologie.org 2018

bouquetin

Lundi 1 Avril, 2019