Anne, Ann Ford, Madame Philip Thicknesse.
Ann Ford-Thicknesse, par Thomas Gainsborough, 1760.
Née à Londres, 22 février 1737, morte le 20 janvier 1824.
Elle était la fille unique de Thomas Ford (mort en 1768), greffier des tribunaux. Sa mère était Miss Champion. Elle était la nièce du docteur Ford, médecin de la reine, et de Gilbert Ford, procureur général de la Jamaïque.
Elle a reçu une éducation particulièrement soignée. Elle aurait parlé cinq langues étrangères et jouait de plusieurs instruments. Elle eut certainement Frederic Theodor Schumann comme professeur de musique.
Elle se produisait en musique de chambre, jouait de la viole de gambe et chantait en s’accompagnant à la guitare, les dimanches, au domicile familial, et brillait dans les milieux mondains par son talent et sa beauté. Mais son père ne lui permettait pas de se produire en public. Il la fit même arrêter.
Ann Ford, par Giovanni Cipriani.
Elle finit par s’échapper une seconde fois de la tutelle familiale (et à un mariage arrangé) et put donner un premier de cinq concerts publics par abonnement le 18 mars 1760, au petit théâtre de Haymarket. Elle encaissa 1 500 livres de souscription de la part du mécénat aristocratique et fit un bénéfice de 500 livres.
Le Dictionary of National Biography relate l’anecdote (v. 56, p. 130).
La « ville » fréquentait ses concerts du dimanche, où l’on entendait le Dr Arne, Teducci et d’autres professeurs, ainsi que tous les amateurs à la mode, l’hôtesse jouant de la viole de gambe et chantant à la guitare […]. Les objections de son père à ce qu’elle chante en public étaient si fortes que, par un mandat du magistrat, il a obtenu sa capture chez une amie. Ce n’est qu’après s’être échappée du toit paternel pour la deuxième fois qu’elle put prendre des dispositions pour le premier de ses cinq concerts d’abonnement […] mais les ennuis de Miss Ford n’étaient pas encore terminés, car à la demande de son père, les rues autour du théâtre furent occupées par des coureurs de Bow Street, qui ne furent dispersés que par les menaces de Lord Tankerville d’envoyer un détachement de gardes. De tels incidents sensationnels ajoutaient au succès des concerts. Ceux-ci comprenaient généralement des airs de Haendel et des airs italiens, chantés par Miss Ford, et des soli pour elle à la viole de gambe et à la guitare.
[Les Bow Street Runners, formaient la première police professionnelle londonienne]
Elle continua à se produire au cours des quatre concerts suivants, jusqu’au 22 avril, s’accompagnant au chant, mais jouant aussi des pièces instrtumentales, notamment pour la guitare. On peut penser qu’elle scandalisa en jouant de la viole de gambe, qui était considérée comme un instrument de musique ne convenant pas aux femmes.
Quotidiennement, du 24 au 30 octobre 1761, elle a chanté des airs anglais, dans la grande salle de Spring Gardens (ancienne salle des ventes de Cocks), en s’accompagnant elle-même à la harpe de verre (des verres d’eau accordés par leur remplissage), précédant de peu l’harmonica de verre mécanisé mis au point par Benjamin Franklin la même année et joué par par Marianne Davies.
Ayant repoussé les avances du comte de Jersey lui offrant 800 livres annuelles pour être son amante, en 1761, elle publia, pour parer à toute action malveillante de dépit ou de vengeance, un pamphlet, A Letter from Miss F-d to a Person of Distinction, au sujet de cette affaire. Le comte lui répondit à son tour par un autre pamphlet, A Letter to Miss F-d.
Dessin extriat de A Letter from Miss F-d to a Person of Distinction. 2e édition, Londres 1761.
En septembre de la même année, elle accompagna son amie Lady Elizabeth Thicknesse, chez laquelle elle s’était réfugiée, à Landguard Fort, dont le mari, Philip Thicknesse était gouverneur. Trois mois après avoir mis au monde un garçon, Elizabeth Thicknesse mourut le 28 mars 1762. Le 27 septembre, Philip Thicknesse épousa en troisièmes noces Ann Ford. Ils eurent une fille Anne Calixte Charlotte Thicknesse (1767 -), et un fils John Thicknesse (1777-1846).
Philip Thicknesse, par Nathaniel Hone, émail sur cuivre, 1757. © The Trustees of the British Museum
Philip Thicknesse, soldat, homme de plume, libertin et faiseur de scandales, naquit en 1719. Dans les années 1730, il séjourna en Amérique, revint un temps à Londres et rembarqua, après 1737, pour la Jamaïque (comme capitaine) combattre les révoltes des esclaves (ce qu’il regretta), et se fixa définitivement à Londres.
En 1742, il s’enfuit avec Maria Lanove, une riche héritière, après l’avoir enlevée dans une rue de Southampton et s’installa avec elle à Bath, grand lieu de la vie mondaine.
Il épousa par la suite Lady Elizabeth Tuchet, fille de James Tuchet, 6e comte de Castlehaven et d’Honorary Elizabeth Arundell, le 10 mai 1749.
En 1753, il acheta la charge de lieutenant-gouverneur de Landguard Fort, grâce à la dot de son épouse.
Ses pamphlets et dénonciations publiques, notamment contre Francis Vernon (plus tard Lord Orwell), ont eu pour résultat une condamnation pour diffamation, un séjour de trois mois en prison, à devoir faire des excuses publiques, sans compter l’établissement d’une bonne liste d’ennemis. En 1766, il est déclaré inapte au commandement.
Il s’acharna aussi sur l’un des ses fils et publia en 1790, les Memoirs and anecdotes of Philip Thicknesse : late Lieutenant Governor of Land Guard Fort, and unfortunately father to George Touchet, Baron Audley.
Il mit habilement en scène une vie d’ermite ornemental qui fit encore plus parler de lui. On le surnommait Docteur Vipère, on le surnomma aussi L’Ermite. Le couple voyagea également en Europe.
Caricature pibliée à LOndres en 1790. © The Trustees of the British Museum.
Philip Thicknesse entouré de ses démons, par J. Gillray, 1790. © The Trustees of the British Museum.
En 1792, en route pour l’Italie, Philip Thicknesse décéda subitement dans sa voiture près de Boulogne. Anne est arrêtée en tant qu’étrangère et emprisonnée dans un couvent. Après la contre-révolution, en 1794, pouvant justifier de moyens pour gagner sa vie, elle est libérée.
Elle vécut alors chez une de ses amies dans Edgware Road.
En 1800, Anne Ford publie un roman à clef autobiographique, intitulé : The School for Fashion, dans lequel de nombreuses personnalités de l’époque étaient déguisées. Elle y figurait elle-même dans le rôle d’Euterpe.
By Miss Ford, Instructions for playing on the Musical Glasses: so that any person, who has the least knowledge of music, or a good ear, may be able to perform in a few days if not in a few hours. With clear and proper directions how to provide a compleat set of well-tuned glasses, etc
Lessons and Instructions for playing on the Guitar.
A Dialogue occasion’d by Miss F--d’s [Ann Ford’s] Letter addressed to a person of distinction [William Villiers, Earl of Jersey] with a new ballad to an old tune sent to the author by an unknown hand. London 1761.
Sketches of the Lives and Writings of the Ladies of France [3 V.] London 1778-1781.
The school for fashion ... By Mrs. Thicknesse ... printed by H. Reynell ... for Debrett and Fores ... Hookham ... and Robinsons, London 1800.
Holman Peter, Ann Ford Revisited. Dans « Eighteenth-Century Music » (1) 2007, p. 157-181.
Rosenthal Michael, Thomas Gainsborough’s Ann Ford. Dans « The art bulletin » (80, 4), 1998, p. 649-665.
Mrs Thicknesse, dans «The Edinburgh Annual Register » (17), 1824, p. 260-263.
Jean-Marc Warszawski
Dictionnaire des écrits relatifs à la musique
Novembre 1995-25 février 2023
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Vendredi 2 Août, 2024