Yvonne Lefébure, née le 29 juin 1898 à Ermont et décédée le 23 janvier 1986 à Paris, était une pianiste et pédagogue française. Elle a transmis à des générations de musiciens du monde entier grâce à ses leçons, ses cours d'interprétation, ses récitals et ses enregistrements une tradition du grand piano français héritée de Cortot.
Enfant prodige, elle a très tôt le don de la musique. Tout d'abord élève de Marguerite Long, avec laquelle elle a peu d'atomes crochus, elle entre au Conservatoire national de musique en solfège à neuf ans avec une dispense et en classe de piano préparatoire à dix ans. Elle obtient son premier Prix de piano dans la classe de Cortot à 14 ans puis poursuit ses études au Conservatoire dans les classes d'écriture jusqu'en 1919 et obtient chaque année un premier Prix (harmonie, contrepoint, histoire de la musique, accompagnement et fugue dans les classes de Widor, Caussade, Dukas, Emmanuel).
Sa carrière de pianiste commence très tôt : premier récital à treize ans et premier concert avec orchestre à quatorze ans (concerto en sol mineur de Saint-Saëns). Elle commence alors à se produire en récital ou avec orchestre dans toute l'Europe et en Afrique du Nord.
Sa carrière de professeur est encouragée par Cortot qui crée en 1919 l'Ecole normale de musique, très vite, il invite Yvonne Lefébure comme assistante, puis la fera nommer professeur. À partir de 1936, jusqu'en 1939, Yvonne Lefébure partage les cours d'interprétation avec Cortot à l'Ecole normale de musique. Cortot appuie sa candidature au Conservatoire pour remplacer Isidor Philipp en 1934 mais en vain.
Alfred Cortot a été le premier inspirateur du jeu d'Yvonne Lefébure : puissance, grandeur, grande sensibilité et polyphonie bien différenciée. Toute sa vie, elle rendra hommage à ce modèle qu'il fut pour elle au départ dans le répertoire romantique et à leur collaboration jusqu'en 1939.
En 1940, leurs choix face à la guerre les séparent. Alfred Cortot rejoint le Gouvernement à Vichy pour y occuper des postes officiels importants tandis qu'Yvonne Lefébure fuit Paris occupée, arrête tout concert public, rejoint d'autres artistes à Dieulefit dans la Drôme puis Perpignan pour faciliter le passage en Espagne de son compagnon Fred Goldbeck.
C'est pendant ces années de guerre qu'Yvonne Lefébure joue fréquemment avec Pablo Casals. Ce dernier lui révèle Bach, la rigueur et l'émotion, la valeur du travail quotidien avec une remise en question permanente.
Yvonne Lefébure jouant avec Pablo Casals, desin de Raoul Dufy.
Le troisième homme qui a marqué toute sa vie de musicienne est Fred Goldbeck auprès duquel elle a traversé presque tout le vingtième siècle : chef d'orchestre et musicologue, il l'a sans cesse aidée à modérer son tempérament volcanique qui parfois la poussait à jouer un peu vite. Ces deux inséparables se sont finalement mariés en 1947.
Après la guerre, Yvonne Lefébure reprend son poste de professeur à L'Ecole normale de musique et obtient enfin sa nomination comme professeur au Conservatoire national de Paris en 1952, poste qu'elle occupera jusqu'à sa mise en retraite en 1967 (elle avait naturellement refusé de prendre la place au Conservatoire de Lazare Levy lorsqu'il fut renvoyé en 1940 par les lois anti-juives de l'Etat français). Elle y excelle ; en 1963 ses sept élèves présentés obtiennent sept premiers Prix ! Yvonne Lefébure poursuit après 1967 son enseignement au Conservatoire Européen.
L'enseignement a été une des deux plus grandes réussites de la carrière d'Yvonne Lefébure. Hélène Boschi, Dinu Lipatti, Samson François, Sébastien Risler, Pierre Reach, Catherine Collard, Michaël Levinas, Setrak, Françoise Thinat, Imogen Cooper entre autres, ont été ses élèves.
Yvonne Lefébure, Bach / Liszt, prélude et fugue en la mineur, BWV 543. Émission Le grand échiquier, Antenne 2, 28 juillet 1977.Après la guerre, Yvonne Lefébure met au point sa propre version des Cours d'interprétation, un art qu'elle a commencé d'exercer aux côtés de Cortot, qu'elle a perfectionné seule et qui restera un exemple unique et insurpassable au vingtième siècle dans l'art d'enseigner la musique : l'élève joue l'œuvre en entier, puis, en fonction de ses potentiels digitaux, musicaux et psychologiques, Yvonne Lefébure entre dans le détail technique afin de corriger certains passages, en changeant les doigtés, les phrasés, parvient à faire immédiatement progresser l'élève sur certains plans, puis Yvonne Lefébure se lance dans une interprétation commentée de l'œuvre (elle parle tout en jouant) de façon à ce que l'élève puisse reprendre sa propre interprétation sur de nouvelles bases. Les échanges permanents avec l'élève et l'explication par l'exemple de l'œuvre, ce souci pédagogique où sont intimement liés en permanence les capacités propres de l'élève, le sens à donner à cette œuvre et la progression du jeu de l'élève, tel a été ce style personnel et original d'un genre qu'on nomme maintenant classe de maître ou master-class.
Yvonne Lefébure, Ludwig van Beethoven, sonate pour piano en la bémol majeur (no 31), opus 110.Yvonne Lefébure était capable de tout jouer pour ses élèves, mais en concert, elle a consacré sa longue carrière à quelques chefs d'œuvres qu'elle a toujours défendus au plus haut niveau.
Peu de concertos : le concerto en ré mineur de Bach avec Pablo Casals au premier concert du premier festival de Prades en 1950, le concerto en ré mineur de Mozart dirigé par Furtwangler à Lugano en 1954 (sans doute sa plus belle expérience avec orchestre), mais surtout, le concerto de Schumann, le concerto en sol de Ravel et le quatrième concerto de Beethoven (qu'elle jouera encore en 1981 lors de son dernier concert).
Yvonne Lef'ébure, Johann Sebastian Bach, Ich ruf zu dir Herr Jesu Christ, BWV 639.Son tempérament fougueux et puissant la destinait plus au récital qu'à la musique de chambre ; il y eut toutefois quelques grandes rencontres avec le quatuor Calvet ou le quatuor Parrenin pour des quintettes (Fauré, Schumann), avec Pablo Casals pour les sonates de Beethoven, avec Sandor Vegh pour les sonates de Beethoven et un unique récital de chant avec Peter Pears.
Yvonne Lefebure a été avant tout une des rares pianistes à jouer les Variations Diabelli de Beethoven dès les années trente, puis l'opus 110, l'opus 109 et l'opus 111,ces trois dernières sonates de Beethoven qu'elle défendra jusqu'à ses derniers récitals. Son jeu polyphonique où la conduite horizontale de chaque voix se fait avec une couleur particulière lui a particulièrement réussi dans Bach : les transcriptions de Liszt ou de Busoni et la première Partitia en particulier. Son élan passionné convenait parfaitement à Schumann : le plus souvent les Davidsbündlertänze et les Variations posthumes et rarement, la fantaisie. Enfin, Yvonne Lefébure a défendu la musique française à chacun de ses récitals ; elle a connu Debussy, Fauré, Ravel, Dukas et Emmanuel (la 4e sonatine lui est dédiée) et les a interprétés de façon incomparable. Les Préludes, les Estampes, les Images, L'isle joyeuse de Debussy, les 6e et 13e nocturnes, thème et variations, le 3e Impromptu, la 6e barcarolle de Fauré, tout Ravel, sauf Gaspard de la Nuit, tout Dukas et tout Emmanuel.
Yvonne Lefébure, Claude Debussy, La cathédrale engloutie.Sa technique de plans sonores différenciés et son jeu de pédales partielles ont fait d'Yvonne Lefébure une des plus grandes spécialistes de Debussy : elle a crée le Prix Debussy, un concours de piano qui porte son nom et a légué ses biens à une fondation afin de pourvoir les lauréats de bourses après sa mort. Dans la maison natale de Debussy à Saint-Germain en Laye, l'auditorium porte son nom.
Que peut-on lire, voir ou entendre sur Yvonne Lefébure aujourd'hui ?
Des rares disques enregistrés avant 1973, il reste quelques rééditions chez EMI Classicals des Variations Diabelli, de l'opus 109 et de l'opus 110 de Beethoven, un précieux témoignage des années 1954-1956 ainsi que du 20e concerto de Mozart sous la direction de Furtwängler enregistré à la radio suisse à Lugano en 1954.
On doit à l'initiative de François et Yvette Carbou toutes les parutions sur Yvonne Lefébure depuis 1974 : une somme irremplaçable sans laquelle cette extraordinaire musicienne serait aujourd'hui oubliée.
François Carbou a demandé à Yvonne Lefébure d'enregistrer tout son répertoire : c'est ainsi qu'en quelques années sont nés sous le label FY, devenu Solstice, ces disques consacrée à Emmanuel, Dukas, Ravel, Bach, Beethoven, Fauré, Schumann, Schubert, Debussy.
S'y sont ajoutés des enregistrements faits à la Radio : les concertos de Ravel, de Schumann, un rarissime opus 106 de Beethoven, des pièces de Bartok, de Rameau, de Brahms, des préludes de Debussy, etc.
Yvette Carbou a réuni dans un DVD des documents filmés lors de cours d'interprétation, du Grand Echiquier et d'autres émissions de télévision, ainsi que des témoignages de ses amis proches. Ces images d'une vie extraordinaire (en particulier lors d'un cours d'interprétation sur l'opus 110 de Beethoven) donnent l'idée la plus exacte de ce qu'a été l'incroyable charisme de cette musicienne.
Yvette Carbou a publié chez Van de Velde un précieux livre consacré à Yvonne Lefébure où elle a choisi ses textes les plus significatifs.
Après la disparition d'Yvonne Lefébure, Henri Louis de Lagrange a réuni tous les documents appartenant à Yvonne Lefébure et à Fred Goldbeck dans un fonds d'archives à la Médiathèque Musicale Mahler.
Grâce au remarquable travail de classement effectué principalement par Marie Jo Blavette, il est possible de consulter tous ces documents sur demande et d'en consulter le catalogue en ligne sur le site de la Médiathèque.
Bernard Poirier
© musicologie.org
22 décembre 2008
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Mercredi 7 Février, 2024