Jean-Marc Warszawski, Barcelone 21 décembre 2025.
Une Nit de Nadal au Palau de la Música Catalana de Barcelone
La Nit de Nadal. Photographie © Palau de la Música Catalana.
Avec trois jours d’avance, Le Palau de la Música Catalana à Barcelone organisait une Veille de Noël autour de La Nit de Nadal de Joan Lamote de Grignon (1872-1949), préludée par L’aplec d’Agustí Borgunyó i Garriga (1894-1967) et en conclusion de la soirée, des chansons de John Williams composées pour le film Maman j’ai raté l’avion ! (1990, Chris Columbus). La magnifique architecture du Palau et ses extraordinaires décors, achevés en 1908 par l’architecte Lluís Domènech i Montaner, suscitent par eux-mêmes une forte envie d’y aller frotter les yeux et les oreilles, ce programme intrigant de compositeurs et d'œuvres totalement inconnus nous a décidé à y revenir, les attentes en alerte.
Les effectifs musicaux sont impressionnants. L’Orquestra Simfònica del Vallès, en grand déploiement, a la particularité d’être une coopérative dont tous les membres, musiciens et administratifs sont salariés. Le chœur, en nombre conséquent de choristes, remplit tout l’espace disponible derrière l’orchestre et une partie du premier balcon de chaque côté du parterre. C’était un concert « participatif », l’Orfeó Gracienc (120 ans d’âge !) avait fait appel a ses anciens choristes et au public. Les environ soixante-dix enfants du Cor Infantil de l’Orfeó Català occupent les trois étages de galeries surplombant la scène, d’un côté et d’autre du buffet d’orgue. Il reste un peu de place pour la Soprano Elionor Martínez, le baryton Ferran Albrich, et le chef d’orchestre Salvador Brotons, auquel on a laissé un passage pour gagner l’estrade, entre les musiciens serrés les uns contre les autres comme pas possible. Mis à part John Williams, ce concert est totalement barcelonais.
L’analogie, première forme grossière de la connaissance, est instinctive, laquelle permet, selon quelques apparences, de classer les choses inconnues. On n’y échappe pas au concert, où on ouvre les tiroirs de son classeur : tonal ? Atonal ? Classique ? Romantique ? Influence wagnérienne, debussyste, fauréenne ? Toutes choses nourrissant ce qu’on pourra en dire, qui sont aussi des caractérisations indiquant aux gens éduqués de quoi, à grands traits, il en retourne. Mais, comme l’écrivit Jean-Philippe Rameau, la musique est un art qui s’adresse autant à l’intelligence qu’aus sens. Sauf que le passage de l’un à l’autre est une illusion, l’expérience existentielle est incommunicable. Là L’aplec (le rassemblement, la fête) d’Agustí Borgunyó i Garriga, nous incite à ouvrir des tiroirs tels que : inclassable, beauté, grande beauté, curiosité, intérêt, facture de maître, plaisir. Pour la communication : épisodes distincts, finissant par une cadence franche aussitôt enchaînée, et l’impression nette d’une influence de musique de film plutôt américain. En effet, Agustí Borgunyó i Garriga (1894-1967) s’exila aux États-Unis d’Amérique en 1915, suite à une peine d’amour dit-on, pour échapper au service militaire et à la guerre au Maroc dit-on aussi, il y mena toute sa carrière de compositeur (jouant sur son origine catalane dont il est fortement imprégné), de chef d’orchestre et de professeur, puis revint à Barcelone en 1963 pour une courte retraite. L’aplec, composé en 1956, est une suite folklorique. Les aplecs sont de grandes réunions annuelles populaires catalanes où l’on danse surtout des sardanes (Borgunyó en a composé une grande quantité).
Joan Lamote de Grignon fut un des grands animateurs de la vie musicale de Barcelone, il dirigea l’Orchestre municipal de la ville pendant vingt-quatre ans, fonda, en 1910, l’Orchestre symphonique de Barcelone, entre 1917 et 1931, il fut enseignant puis directeur du Conservatoire supérieur de musique du Liceu. Inquiété et attaqué après le putsch franquiste en raison de son activité en faveur des classes populaires, il s’installa à Valencia, où après quelques années difficiles pour lui et sa famille, il créa l’Orchestre municipal.
La Nit de Nadal, composée sur un poème de Francesc Cases i Amigó, créée le 26 octobre 1902 au Teatre Novetats de Barcelone, connut un grand succès. C’est une suite à programme en trois parties, mettant en œuvre grand orchestre, chœur mixte, chœur d’enfants, ainsi qu’une soprano et un baryton : « Introduction » ; « Chant des anges », « Chant de Marie », « Chant des rossignols » ; « Chant de saint Joseph », « Chant des bergers », « Danse des bergers ». On est là encore dans de la composition inspirée et habile, ou le savant se marie au populaire catalan, avec des épisodes d’intense émotion portée par la beauté lyrique des solos vocaux (excellents Elionor Martínez et Ferran Albrich), ou la masse choriste, particulièrement celle des enfants, et aussi par un très bel orchestre. L’influence wagnérienne, surtout dans les passages chorals assumés par les cuivres ne fait pas mystère, mais l’infini des modulations est sérieusement maîtrisée, et l’harmonie plutôt modale fait par moment penser au suspendu du Requiem de Fauré. On se sent mieux quand on a des références. C’est une œuvre grandiose, éblouissante, assurée de ses effets, dont on ne se prive pas du plaisir.
Salvador Brotons. Photographie © Orquestra Simfònica del Vallès.
Les chansons de John Williams sont festives et brillantes, un aspect de Noël plus détendu, mousseux confettis et serpentin, que ne l''est son son objet, mais nous ne sommes pas attiré par le genre Merry Christmas, qui, nous ne savons pas pourquoi, nous évoque une certaine vulgarité en paillettes.
Le chef Salvador Brotons, évidemment lui aussi produit barcelonais, qui a dirigé l’Orquestra Simfònica del Vallès de 1997-2002, est chez lui, avec l’orchestre dont on le sent en complicité et amour, avec le Palau de la Música, avec le public. Monté sur roulettes et élastiques, il en fait une caisse, tourne parfois vers le public le profil de son visage fiévreux et passionné, ce qui amuse les quelques bonne dames assises devant nous, mais ne perdant pas le Nord, il est d’une précision horlogère.
Pourquoi les chansons de Johan Williams ? Pour attirer le public, même barcelonais ignorant les noms Joan Lamote de Grignon et Agustí Borgunyó i Garriga ? Ou les touristes, certainement assez nombreux aussi ? Pourquoi pas. Mais personnellement nous aurions ouvert le programme avec, suivies par L’aplec, comme un pont entre sonorités américaines et catalanes, et enfin cette Nit de Nadal, pour rester à la sortie sur une impression grandiose et d’intense émotion.
Barcelone 21 décembre 2025.



À propos - contact |
S'abonner au bulletin |
Biographies |
Encyclopédie musicale |
Articles et études |
Petite bibliothèque |
Analyses musicales |
Nouveaux livres |
Nouveaux disques |
Agenda |
Petites annonces |
Téléchargements |
Presse internationale |
Colloques & conférences |
Collaborations éditoriales |
Soutenir musicologie.org
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.
ISSN 2269-9910

Mardi 30 Décembre, 2025 2:27