L'orchestre de Caen joue Baal Photographie © Alain Lambert.
Le festival [aspects] du conservatoire de Caen est consacré depuis 1982 aux musiques d’aujourd’hui, un des rares en France. Cette année autour de Zad Moultaka, musicien né au Liban en 1967, et venu à Paris en 1984, jouant ainsi musicalement sur ses deux cultures entrelacées, orientale et occidentale.
La première soirée est comme d’habitude celle de l’orchestre de Caen en grand équipage, avec pas moins de quatre percussionnistes pour une bonne cinquantaine de musiciens. Baal d’abord, un court, mais vibrant poème symphonique dédié au dieu cananéen de la fertilité, et qui pourrait s’appeler le sacre de l’orage, dont il dessine la progression en différentes étapes colorées par les archets frénétiques et les percussions multiples. En final, les musiciens laissent leurs instruments pour scander un vers de la poétesse et philosophe Etel Adnan Ana Baal uluka laka… incitant le peuple à se redresser. Les titres des quatre mouvements sont aussi d’autres vers de la poétesse.
En intermède, la 3e symphonie de Johannes Brahms dont le nom a été choisi par l’invité. L’orchestre, dirigé par son chef habituel, Nicolas Simon, s’en tire parfaitement, en jouant subtilement du contraste avec l’œuvre précédente et celle à venir. Ce qui n’est pas forcément le cas dans ce parti pris du festival de faire voisiner un répertoire contemporain et plus ancien. Mais si la salle est pleine, c’est bien aussi pour ça. Mes voisins derrière l’ont laissé entendre à demi-mot à un de leurs interlocuteurs. Tant mieux s’ils découvrent ainsi d’autres horizons.
La création offerte par Zad Moultaka en création mondiale est un Requiem for a Resurrection, auquel il a ajouté une voix de mezzo-soprano un peu à la fin, ce qui expliquerait l’absence de surtitrages. Nous avons juste sur le programme le texte en latin, entrecoupé de courts poèmes de William Blake tel des comptines sur l’innocence enfantine face à la violence du monde. Comme dans Baal, mais plus souvent, les musiciens sur certaines séquences scandent et incantent, donnant une présence encore plus forte à la voix soliste de Fiona Mc Gown, superbe de profondeur et de gravité. Une belle soirée d’ouverture.
Le jeudi soir, après un mercredi réservé au jeune public, musique de chambre en solo avec deux pièces de Zad Moutalka et une d’Alizera Farhang, né en 1976 en Iran. Toutes les trois jouent sur la transposition. Dans Tajwid pour percussions, Moutalka a transcrit une sourate du Coran, dont on ne doit pas mettre les mots en musique, en une suite pour percussions des peaux au métal, de la terre vers le ciel. Hsin-Hsuan Wu, qui fut une année professeur ici, venue comme en janvier en soliste des Percussions de Strasbourg, assume cette évocation percussive subtile.
L'ensemble Court Circuit joue Anagran. Photographie © Alain Lambert.
Guillaume Vasseur se lance dans une autre transposition du même compositeur, transformant son saxophone soprano en Zourna, bombarde méditerranéenne en quart de ton donnant son titre à la pièce, très étrange et virtuose.
Puis Hsin-Hsuan Wu revient au vibraphone pour une autre métamorphose d’un poème d’Henri Michaux devenu Poème sans voix de Farhang, installé lui depuis vingt ans en France. Très intrigant dans sa prosodie métallique.
En intermède, le duo Stéphane André au violoncelle et Olivier Peyrebrune au piano nous a fait découvrir de Guillaume Lekeu, la longue et belle sonate pour violoncelle et piano en fa majeur qui le mérite amplement.
Le samedi soir, après un vendredi vocal, l’ensemble Court-Circuit dirigé par Jean Deroyer prend le relais avec un programme moins passionnant où les quatre pièces semblent fonctionner sur le même climat musical un brin convenu quel que soit l’effectif, du solo Arco-1 pour violoncelle d’Ivo Malec — présent au premier festival en 1982, et qui aurait cent ans cette année — au quatuor d’Alizera Farhang Anagran, du sextuor de l’Italien Lorenzo Pagliei When Nothing Else Happens à l’octuor de Zad Moultaka Il regno dell'acqua. Quatre pièces d’une vingtaine de minutes chacune qui suscitent à la longue une certaine monotonie.
Plus attrayant était l’avant concert qui chaque fin d’après-midi fait se confronter une chouette assurance les étudiants du conservatoire aux mêmes musiciens d'aujourd'hui. Ce samedi, ils jouaient des miniatures d’Alizera Farhang ou d’Alexandros Markeas, né lui en 1965. Sans doute la forme courte permet plus de mystère. Et la présence des invités expliquant leurs compositions, tout comme les soirs précédents, aide aussi. Le concert de Court-circuit y aurait peut-être gagné.
Un beau festival aux horizons pluriels, mêlant les cultures et les aventures à une époque de repli très inquiétante. En espérant que le requiem pour le renouveau de Zad Moultaka soit réellement prophétique.
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Mardi 18 Mars, 2025 17:01