12 juillet 2025 — Frédéric Léolla
La Calisto de Francesco Cavalli, Festival d’Aix-en-Provence 2025. Photographie © Monika Rittershaus.
Une femme qui embrasse une autre femme — sous prétexte que ce sont des baisers chastes puisque baisers entre femmes —, une femme qui ressent pour la première fois du plaisir sexuel et en parle (« un truc que je ne saurais expliquer »), une autre femme qui voudrait que son amant dorme toujours pour pouvoir le chérir toujours, un homme qui ne veut pas aller au-delà de l’amour platonique, une femme mariée qui se plaint de l’abandon de son mari, une autre femme qui voudrait enfin goûter au plaisir, des hommes qui ne veulent surtout pas être contrôlés par leurs femmes, qui veulent courir d’aventure en aventure, des divinités qui tabassent le berger qui ose contrecarrer leurs désirs, une déesse qui se venge atrocement d’une petite divinité… Sexe, violence, abus de pouvoir...
Non, ce n’est pas une pièce contemporaine, c’est un chef-d’œuvre de 1651, La Calisto, livret de Giovanni Faustini et musique de Francesco Cavalli, né à Venise, et repris par Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances à l’édition 2025 du Festival d’Aix1.
Comme Calisto, la jeune Lauranne Oliva au très joli timbre, montrera au troisième acte sa capacité de pathétique. La basse Alex Rosen, au beau timbre, très à l’aise sur tout le registre, très intelligible et de surplus avec un bon falsetto pour contrefaire la voix de Diane, sait se montrer aussi cynique et drôle que tendre et ému. La scène de jalousie, puis de plainte d’Anna Bonitatibus restera dans les mémoires pour son intensité, mesurant les silences, donnant à sa voix la couleur et le volume nécessaires selon chaque phrase, maîtrisant l’art du chant et du théâtre. Passionnée, sachant trouver à chaque moment la nuance qui convient, Giuseppina Bridelli comme Diane. Paul-Antoine Bénos-Djian lui donne la réplique comme son amoureux Endymion, et nous savourons sa voix veloutée de contralto. Très justes, très expressifs aussi, Dominic Sedgwick comme Mercure, David Portillo comme Pan, Théo Imart comme Satirino et Douglas Ray Williams comme Silvino (remplaçant José Coca Loza). Et dans un rôle travesti, Zachary Wilde, très drôle comme Linfea.
Toutes et tous très investis, très vrais dans leurs différents rôles grâce à une excellente direction d’acteurs de Jetske Mijnssen, attentive aux nuances, à ne jamais perdre le sens de l’humour, aux relations entre les personnages, et au mouvement scénique. Elle est secondée en ce sens par une très jolie chorégraphie de Dustin Klein, inspirée des mouvements de danse du xviiie siècle — époque qui sert d’inspiration aussi bien aux décors de Julia Katharina Berndt qu’aux costumes (très beaux) de Hannah Clark.
L’Ensemble Correspondances brille de mille feux. Certes, cela pourrait se considérer injuste face au seulement six instrumentistes qui auraient été présents lors de la création en 1651. Mais déjà au xviie siècle, les musiciens faisaient avec ce qui leur tombait sous la main, et il est fort possible que Cavalli eût été heureux d’entendre son œuvre portée avec ce luxe sonore (32 instrumentistes à Aix) : harpes, théorbe, archiluth, clavecins, orgue, violons, violes, violes de gambe, violoncelles, contrebasse, saqueboutes, basson, cornets, flûte et percussions, disposés en deux groupes plus ou moins similaires qui à l’occasion dialoguaient.
Après une première partie où le drame se met tranquillement en place, la deuxième deviendra un tourbillon avec autant de moments drôles (voire hilarants) que de moments pathétiques (voire tragiques), à nous donner parfois la chair de poule.
Frédéric Léolla
7 juillet 2025
1. En tenant compte des coproductions, cette production sera reprise à l’Opéra de Rennes, à Angers, à Nantes, à Paris (Théâtre des Champs-Élysées), à Caen, à Luxembourg et en Avignon. Si vous en avez l’occasion, ne la ratez pas.
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