Opera Ballet Vlaanderen, Wozzeck. Photographie © Annemie Augustijns.
Pour cette production de Wozzeck, qui clôturait sa saison 2024-2025, l’Opera Ballet Vlaanderen a fait appel à Johan Simons, grande figure du théâtre néerlandais et spécialiste de la pièce de Büchner qu’il a déjà montée trois fois. À 78 ans et une carrière de près de 50 ans, le metteur en scène n’avait en revanche jamais abordé l’opéra d’Alban Berg et en donne une vision d’une grande force théâtrale. La scénographie épurée de Sammy Van den Heuvel enferme l’action dans un espace unique fait de hauts murs blancs de guingois (référence au Kammerspiel des années 1920) sur lesquels plane en permanence une ombre menaçante et dont la seule échappatoire sont des soupiraux à leur base. La dégradation de Wozzeck et sa chute s’y jouent sous le regard d’un groupe d’enfants dont l’un émerge par intermittence, tel le double d’un des protagonistes, comme lorsque les enfants s’amusent à imiter les adultes ou comme s’ils tentaient de les sauver de leur aliénation.
La stylisation du décor et des costumes arrache l’opéra de Berg au simple naturalisme pour le projeter dans une dimension quasi onirique, transcendant la crudité expressionniste de la pièce pour transformer le « fait divers » en véritable tragédie mentale. Rien pourtant n’est évité de sordide, pas même la suggestion d’un viol de Wozzeck par le Tambour-Major lorsque celui-ci le rosse et conclut la scène en le chevauchant et s’exclamant : « Quel homme je suis ! ». Sa vision montre la « folie » de Wozzeck comme le résultat d’une souffrance que lui inflige son statut social, mais aussi sa propre lucidité exacerbée.
Opera Ballet Vlaanderen, Wozzeck. Photographie © Annemie Augustijns.
Plus délirant que lui sont le Capitaine qui apparaît au premier acte assis dans une bassine ou le Docteur qui le maintient sur une chaise d’enfant et lui fait avaler une matière noirâtre non identifiée. Tous deux sont montrés dans les dernières scènes, tels les aveugles de Jérôme Bosch se soutenant l’un l’autre dans leur errance. La direction d’acteurs exige des chanteurs un engagement physique de tous les instants, soutenue par une distribution de tout premier plan où pourtant ne figure aucun nom connu. Dans le rôle-titre, Robin Adams est un Wozzeck expressif, complexe, intense, mais jamais histrionique. Vocalement, chacun aux extrêmes de sa tessiture, James Kryshak (le Capitaine) et Martin Winkler (le Docteur) rivalisent de folie. Excellents le puissant Tambour Major de Samuel Sakker et l’Andres de Hugo Kampschreur.
Mais la révélation de la production est d’évidence la Marie de Magdalena Anna Hofmann. Voix large et puissante de soprano dramatique dont la lecture de la parabole de la femme adultère, empreinte de culpabilité, est un des moments les plus intenses de la soirée. Parfaites les figures secondaires pour la plupart issues de Jeune ensemble de l’OBV, parmi lesquels on distinguera particulièrement le second compagnon de la basse sud-africaine Reuben Mbonambi.
Opera Ballet Vlaanderen, Wozzeck. Photographie © Annemie Augustijns.
Dans la fosse, Alejo Perez signe une version magistrale de la partition kaléidoscopique de Berg, donnant une véritable unité à cet ensemble plein de ruptures de ton, et imprimant une montée de la tension dramatique qui culmine dans les deux derniers interludes, d’une force proprement inouïe. Au final, la parole revient aux enfants. Le fameux « hop, hop » de l’enfant de Marie et Wozzeck, qui marque normalement son incompréhension face à l’annonce de la mort de sa mère, est devenu le signe de la légèreté et de la résilience de l’enfance face à la tragédie, dont elle vient d’être l’impuissant témoin.
Représentations à Anvers jusqu’au 12 juin, puis à Gand du 21 au 29 juin.
Alfred Caron
1er juin 2025
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Mercredi 4 Juin, 2025 1:24