bandeau_texte bandeau musicologie 840

Jean-Marc Warszawski, Paris, 19 mai 2025.

Souffle 1925 à la cathédrale Saint-Louis des Invalides

Elsa Grether, Saint-Louis des Invalides, 15 mai 2025. Photographie © musicologie.orgElsa Grether, Saint-Louis des Invalides, 15 mai 2025. Photographie © musicologie.org.

Le concert du jeudi 15 mai dernier, donné à la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides, était l'une des soirées d'un cycle évoquant et invoquant « l’esprit de Locarno », ville où se tint une conférence internationale sur la sécurité des frontières, au moins autour de l’Allemagne, qui se conclut le 16 octobre 1925 par un accord multilatéral complexe et l’admission de l’Allemagne à La Société des Nations. Une Société des Nations qui nous rappelle immanquablement le roman Belle du seigneur, le chef-d’œuvre d’Albert Cohen. Mais dans la vraie vie, on put croire alors à une paix éternelle.

Le programme, particulièrement dense, ne fut ni de paix ni de guerre, mais d’époque, avec des œuvres composées en 1925 ou peu loin de 1925.

En voiture ! Avec la première pièce, Pacific 231, poème symphonique composé en 1923 par Arthur Honegger. Elle est un hymne à la mécanisation conquérante, et quoi de plus conquérant que cette surpuissante locomotive des chemins de fer australiens lancée à travers le territoire, comme un mouvement irrépressible vers l’avenir. Dans le choix moderniste d’acier et de vapeur, Honegger fut moins audacieusement radical que ses collègues « constructivistes » russes, mais le sujet s’apparie particulièrement bien au projet esthétique. En comptant l’accélération du départ, le ralentissement d’arrivée, la vitesse de pointe de cent-quarante kilomètres par heure, nous avons dû parcourir environ sept kilomètres, naturellement bien plus en temps poétique, en admirant par la fenêtre d’où il ne faut pas se pencher, des paysages plutôt nocturnes, imaginons-nous, et en percevant la bacchanale bruyante du monstre mécanique, les à-coups métronomiques des roues passant sur les jointures des rails selon la vitesse, le mouvement des bielles, les grincements du freinage, le sifflement de la vapeur sous pression… Un peu d’influence de Stravinski (Sacre du printemps) dans quelques motifs mélodiques et le fait que les accentuations et figures rythmiques sont ici un paramètre essentiel. Sept kilomètres qui ont également permis à la musique de l’Air et de l’Espace, de montrer que sa notoriété mondiale acquise depuis des décennies, déjà quand elle était encore Musique de l’Air sans l’Espace, n’est pas volée, elle est en fait un ensemble de solistes, vu le niveau de recrutement. Le chef Claude Kesmaecker dirige ce beau monde virtuose et discipliné au doigt et à l’œil (la baguette est réservée aux cas difficiles), mais surtout nous épate par une maestria d’arrangeur pour orchestre à vents, qui se confirmera tout au long de ce concert.

Elsa Grether, Musique de l'Air et de l'Espace, Saint-Louis des Invalides, 15 mai 2025. Photographie © musicologie.org.Elsa Grether, Musique de l'Air et de l'Espace, Saint-Louis des Invalides, 15 mai 2025. Photographie © musicologie.org.

Sauf dans le concerto de Kurt Weill, composé dès l’origine pour violon et ensemble à vents (1925) et qui nous accueille à la descente du train. Une œuvre rarement jouée en concert, elle apparaît de très loin en loin dans les programmes. C’est une pièce dont le style peut étonner, dans la mesure où la renommée de Kurt Weill est liée au Drei Groschen Oper et à de fabuleuses mélodies populaires, dont celles composées pour La Marie galante, quand il séjourna quelques années plus tard, mal accueilli, dans un Paris gangréné d’antisémitisme. C’est là un autre monde sonore, et des choix esthétiques de jeunesse hésitants au carrefour. La pièce demande une attention assez soutenue d’écoute, elle a gardé sa modernité savante, avec une mobilité polyphonique riche et complexe, (une citation du Dies Irae au début), des ruptures, même des breaks façon jazz, des reprises, qui demandent une grande attention dans la mise en place, ici naturellement impeccable. À la virtuosité orchestrale s’ajoute celle de la violoniste Elsa Grether, parfois au-dessus de la mêlée, souvent en plein dedans, plus rarement seule, dans une partition d’une virtuosité sauvage, un vrai concerto, opposant deux mondes contrastés, dans lequel la soliste se donne un mal de chien pour s’imposer. L’acoustique de la cathédrale en rajoutant peut-être un peu à la partition.

Elsa Grether est une artiste exigeante qui met la barre très haute et qui se donne les moyens de ses exigences musicalement ambitieuses. Elle est une des grandes valeurs musicales du moment. 

Musique de l'Air et de l'aspace, Saint-Louis des Invalides, 15 mai 2025. Musique de l'Air et de l'aspace, Saint-Louis des Invalides, 15 mai 2025.

Avec la « Danse des sept voiles extraite » du Salomé de Richard Strauss et La Valse de Maurice Ravel, le concert atteint un climax de somptuosité sonore, en volume aussi, en agitation, pour se calmer avec le Poema autunnale d’Ottorino Respighi, qui porte bien son nom, dans la demi-teinte d’un lyrisme un peu triste et consolant, pour s’achever en introspection, avec la magnifique psalmodie du Kaddish de Maurice Ravel, œuvre à laquelle Elsa Grether est très attachée, mais que nous préférons, malgré son interprétation habitée, dans sa version de 1914 (il a été orchestré en 1920), pour voix et piano. Une prière des morts est un texte qui dévoile le silence et le rend éternel.

plume_07 Jean-Marc Warszawski
19 mai 20252025


rect_acturect_biorect_texterectangle encyclo

logo grisÀ propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

paypal

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

cul_2505

Lundi 19 Mai, 2025 15:42