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22 mai 2025 — Frédéric Léolla

Sexe et opéra (XVI) : orgies et bacchanales

Ah, cela peut en étonner certains, mais la figure de l’orgie est loin d’être étrangère au monde de l’opéra. D’abord comme simple allusion — déjà en soi assez osée — dans la Lucrezia Borgia de Donizetti à partir du drame de Victor Hugo, où Gennaro transforme le « Borgia » en « orgia », au grand scandale de la duchesse. Puis, l’orgie est devenue surtout un numéro de ballet. Ou au mieux une scène chorale.

Il faut imaginer néanmoins qu’entre les mises en scène de l’époque et les mises en scène actuelles il y devait y avoir un certain écart…

Tannhäuser

Musique de Richard Wagner, sur un livret de Richard Wagner, créé en 1845, Dresde, Semperoper.

Le chevalier poète Tannhäuser se sent prisonnier à Venusberg, le royaume de Vénus, où la bacchanale bat son plein. Après une longue discussion avec la déesse, ce n’est qu’en invoquant la vierge Marie que le preux Tannhäuser réussit à quitter Venusberg et à retrouver les terres de la Wartburg où il avait laissé la femme qu’il aimait, Elizabeth, la nièce du Landgrave. Les amoureux Elisabeth et Tannhäuser peuvent enfin se retrouver. Et tout de suite après a lieu un concours de chant poétique. Lors du concours, alors que Wolfram von Eschenbach chante les joies de l’amour « pur », Tannhäuser ne peut se retenir de le railler en évoquant l’amour sensuel et en avouant qu’il a vécu au Venusberg. Le scandale est tel que Tannhäuser ne pourra plus revenir sans avoir reçu le pardon du pape. Au troisième acte, Tannhäuser revient exténué de son pèlerinage à Rome : le pape a refusé le pardon tant que son bâton papal ne reverdirait pas. Lorsque Tannhäuser apprend en plus qu’Elisabeth est morte en l’attendant, il meurt aussi. Mais, en mourant, les pèlerins apportent une nouvelle miraculeuse : le bâton du pape a reverdi, signe que le pardon a bien été concédé par Dieu à Tannhäuser.

Tannhäuser est un opéra éminemment « sexuel ». Il se base sur la fameuse dichotomie entre « amour pur » et « amour sensuel » chère aux romantiques. S’il ne manque donc pas d’allusions au sexe, c’est en particulier la Bacchanale qui suit directement l’ouverture dans la version de Paris, qui nous intéresse ici.

L’histoire de cette bacchanale, racontée par Baudelaire, est bien connue. Wagner avait écrit son opéra pour Dresde et sans ballet. Or, grâce à la princesse Metternich, il était possible de le présenter à l’Opéra de Paris. Mais, pour l’opéra de Paris, il était absolument indispensable qu’il y eût un ballet. Wagner a donc décidé d’en composer un pour le tout début, une orgie qui aurait lieu à Venusberg. C’est une des plus ravissantes musiques qu’il n’ait jamais composées. Une des plus ravissantes qu’on n’ait jamais composées.

Hélas, le ballet étant situé au premier acte, les habitués du Jockey-club parisien qui avaient l’habitude d’arriver au deuxième pour assister directement au ballet et admirer les ballerines, ont été frustrés, voire se sont sentis arnaqués et ont décidé de faire de ce Tannhäuser un vrai four.

Dans tous les cas, il nous reste aujourd’hui une musique terriblement sensuelle — devrait-on dire « érotique » ? — qui enchaîne directement avec l’ouverture.

 

ORPHÉE AUX ENFERS
Musique de Jacques Offenbach
, sur un livret de Hector Crémieux et Ludovic Halévy
1858 — Théâtre des Bouffes Parisiens — Paris

Peut-être la plus célèbre des bacchanales. Si célèbre qu’elle fait partie de « l’inconscient collectif » au même titre que la 5ème de Beethoven ou les Quatre saisonsde Vivaldi. Le tourbillon du galop est devenu le symbole même de Paris. Danse débridée qui tient plus de folie que de sensualité. Sa démesure barbare contient la révolte, le « déchaînement », l’ivresse destructrice qui nous envahit lorsqu’on vient de décider de « tout envoyer balader ». Le moment où l’on décide de mettre un grand coup de balai sur les contraintes et les interdits. Danser jusqu’à perdre conscience. Mais tout en gaîté !
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SAMSON ET DALILA
Musique de Camille Saint-Saëns
, sur un livret de Ferdinand Lemaire à partir de la Bible
1877 — Théâtre de la cour — Weimar

Samson voudrait libérer le peuple d’Israël du joug des Philistins. Ceux-ci craignent Samson, car il possède une force inexplicable. Mais Samson est amoureux de la Philistine Dalila. Celle-ci lui soutirera le secret de sa force : ses longs cheveux. Pour le rendre faible, Dalila coupe donc les cheveux de Samson pendant qu’il dort puis le livre aux Philistins. Samson est alors enchaîné, aveuglé, puis conduit dans leur temple pour devenir l’objet de leurs railleries. Or, après la bacchanale, Samson invoque Dieu et retrouve ainsi assez de force pour abattre la colonne soutenant le temple. Le temple s’effondre ainsi sur Dalila, le grand prêtre, Samson, les bacchanaleurs et bacchanaleuses et tutti quanti.

Encore une bacchanale dansée. Celle-ci bien plus conventionnelle que l’équivalente, quelques années plus tôt, de Wagner. Néanmoins le ballet de Saint-Saëns est plein de charme. Il ajoute une puissante note de couleur au bon moment, il est sensuel, avec son petit exotisme de carton-pâte. Et c’est avec grand plaisir qu’il est à chaque fois écouté.
Il faut imaginer, en plus, que la bacchanale correspond bien à l’idée que nos aïeux se faisaient des méchants Philistins « dégénérés » de la Bible. Et peut-être bien aussi qu’elle a contribué, en excitant les fantasmes de ces messieurs-dames du public, au succès de l’œuvre.

 

MOSES UND ARON (Moïse et Aaron)
Musique de Arnold Schoenberg
, sur un livret de Arnold Schoenberg
1954 — Théâtre de l’Opéra — Hambourg

Moïse et Aaron est un OVNI dans le répertoire : un opéra sans histoire d’amour ni personnage féminin relevant, mais avec une orgie, un ballet débridé où sexe et violence alternent et s’imbriquent l’une dans l’autre, grâce à une musique exceptionnelle, effrénée et sauvage. Une pure merveille.

 

plume_04 Frédéric Léolla
22 mai 2025

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Jeudi 22 Mai, 2025 0:09