Théâtre des Champs-Élysées, 17 juin 2025 —— Alfred Caron
Sémiramis, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © musicologie.org.
Venue de Rouen où elle a été donnée en version scénique il y a quelques jours, cette Sémiramis faisait figure de rareté, ce qui explique sans doute une salle comble et délirant d’enthousiasme à chaque performance individuelle. En effet, le chef d’œuvre italien de Rossini n’a pas été donné à Paris depuis 2014, déjà en version de concert et aux Champs-Élysées, alors sous la direction d’Evelino Pido à la tête des forces de l’Opéra de Lyon. On pourrait s’étonner du reste que cette œuvre majeure du répertoire n’ait toujours pas eu les honneurs de notre scène nationale alors que Rossini l’avait lui-même adaptée en français dès 1860 pour sa création à l’Opéra de Paris.
Karine Deshayes n’en est pas à sa première incarnation du rôle-titre. Elle l’avait déjà abordé en 2018 à Saint-Étienne. Mezzo d’origine, elle peut prétendre aux rôles de Falcon du répertoire belcantiste. Elle possède de nombreuses qualités pour cette Reine coupable et altière, écrite pour Isabella Colbran en 1823 : une véritable science de la colorature, le raffinement des ornements, un grave respectable, et malgré des aigus un peu métalliques et souvent forcés, une certaine extension dans le haut de la tessiture qui lui permet de donner de l’autorité à son personnage. Elles se doublent d’une grande expressivité dans les récitatifs accompagnés qui se ressentent de l’expérience de la scène encore toute fraiche. Passé un « Bel raggio lusinghier » dont les vocalises rapides sont un peu effleurées, elle donne le meilleur d’elle-même dans les deux grands duos où elle soutient son partenaire, l’Arsace de Franco Fagioli, plus que contestable dans ce répertoire.
À l’écoute du contre-ténor argentin, aux registres dissociés, médiums chevrotants, graves artificiellement poitrinés, aigus stridents, on se demande pourquoi les programmateurs s’obstinent depuis une dizaine d’années à distribuer un falsettiste dans un rôle écrit pour un grand mezzo contralto féminin qui est sans doute le plus ardu de tous ceux écrits par Rossini pour cette voix. Car s’il se tire à peu près de son air d’entrée, il parait tout à fait dépassé par sa grande scène du deuxième acte où lui manque la largeur et la puissance susceptibles de soutenir une ligne de chant qui débouche sur une cabalette héroïque extrêmement exigeante.
La révélation de cette production reste incontestablement l’Assur de Giorgi Manoshvili, splendide baryton-basse à qui ce rôle de « basso cantante » va à merveille. Le timbre sombre, la longueur et la puissance, la capacité à vocaliser, le sens de la caractérisation (un rien forcée parfois) n’appellent que des éloges et lui valent un triomphe après son extraordinaire scène de folie du deuxième acte. À n’en pas douter, on tient là un titulaire pour les rôles de Filippo Galli et il sera du reste Mustafa dans L’Italienne à Alger au Rossini Opera Festival en août prochain.
L’Idreno du ténor Aladstair Kent possède une bonne technique, comme le montre son unique air du deuxième acte, mais la voix paraît beaucoup trop légère avec des aigus pincés et disparait quelque peu dans les ensembles. On peut se demander tout de même à quoi sert d’avoir maintenu la petite scène en récitatif avec Azema au premier acte, puisque l’air du ténor qu’elle est censée introduire a été coupé.
Imposant, l’Oroe de la basse Grigory Shkapura offre une belle stature au Grand Prêtre de Bel, mais on pourrait souhaiter quelques nuances dans son récitatif d’entrée qui n’est pas une déclaration fracassante, mais une sorte de monologue intérieur et secret.
Du côté des utilités, le jeune ténor Jérémy Florent se sert des quelques répliques du messager Mitrane pour faire valoir une belle voix de ténor lyrique plus que prometteuse.
Sous la direction efficace, mais moyennement raffinée de Valentina Peleggi, l’Orchestre de l’Opéra Normandie Rouen se montre parfaitement à la hauteur de la partition de Rossini où les pupitres solistes, notamment du côté des vents et des bois, sont particulièrement exposés. Le chœur Accentus n’appelle que des éloges malgré un petit déficit de volume du côté masculin où les voix graves paraissent manquer. Au final, un véritable triomphe salue une production qui, à une exception près, nous aura fait respirer l’air enivrant des jardins suspendus de Babylone imaginés par Rossini et réinventés en Normandie.
Concert enregistré par France Musique (date de diffusion non annoncée).
Alfred Caron
17 juin 2025
© musicologie.org
À propos - contact |
S'abonner au bulletin
| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Jeudi 19 Juin, 2025 2:11