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Frédéric Léolla, 9 novembre 2025

Rousslan et Ludmila à l’Opéra de Hambourg : vraiment dommage

Mikhaïl Glinka, Russlan et Ludmila, Hamburgischen Staatsoper. Photographie © Matthias Baus.

Il est devenu habituel que les metteurs en scène d’opéra plaquent une histoire bien différente de celle conçue par librettiste et compositeur. Et je ne suis pas sûr que cela soit bénéfique ni pour le spectateur, obligé de céder à la concentration sur la musique pour se demander quel est le sens de ce qui se passe sur scène, ni pour la partition, souvent défigurée et vidée de ses intentions par la nouvelle histoire.

C’est d’autant plus triste quand il s’agît d’œuvres rarement représentées. C’était le cas de Rousslan et Ludmila, une des œuvres fondatrices de l’école russe, bien rare hors des pays slaves, et que l’Opéra de Hambourg présentait cette saison. Excellente initiative. Sauf que… Sauf que les metteuses en scène Alexandra Szemerédy et Magdolina Parditka, au lieu de travailler à partir du livret pour en tirer toutes les nuances et toutes les possibilités, ont tenu à livrer leur propre histoire, sans peur de souvent ajouter de flagrants contresens.

Si l’adaptation au monde contemporain de la féérie de Pouchkine/Glinka pourrait être intéressante, le travail de Szemerédy et Parditka défigure tellement les lignes d’intérêt et les enjeux que c’en est lassant.

De ce fait, les récitatifs perdent tout leur intérêt, les airs se trouvent souvent réduits à de purs « morceaux de musique » et la sensation de confusion est constante pour les spectateurs (et sans doute aussi pour les interprètes). Dommage.

Du côté musical, le chef ne mérite guère plus d’éloges. Â son seul avoir, le fait de ne pas trop couvrir les chanteurs. Autrement, Azim Karimov livre une version sans vie et sans couleurs, sans fantaisie ni sens de l’humour, morne, à l’image des costumes et de la scénographie, et n’arrive jamais à galvaniser un orchestre pourtant de très haut niveau. Des temps lourds, un manque flagrant d’imagination dans les reprises, un sens de la mélodie plutôt défaillant, peu de réelle empathie avec les chanteurs… Dommage.

Mikhaïl Glinka, Russlan et Ludmila, Hamburgischen Staatsoper. Photographie © Matthias Baus.Mikhaïl Glinka, Russlan et Ludmila, Hamburgischen Staatsoper. Photographie © Matthias Baus.

Dommage, en effet, car le plateau vocal était de bon aloi. À commencer par un excellent Ilia Kazakov campant le rôle de Rousslan avec des graves sonores, des aigus bien lancés, un beau timbre de basse et un beau sens de la musicalité. Sa Loudmila était Barno Ismatullaeva, un beau soprano lyrique (et de ce fait plus à l’aise dans les graves et le médium que dans les aigus), avec une bonne maîtrise des ornements et un bon sens du pathos. Si le choix d’un contre-ténor au lieu d’une contralto pour chanter Ratmir laisse plutòt sceptique, surtout au premier acte, Artem Krutko se rattrape au troisième acte, avec de très beaux graves et de jolis aigus. Et si elle est un peu prise en défaut justement sur les graves, Natalia Tanasii réussit néanmoins à donner une version touchante et bien chantée de son personnage, Gorislawa. Kristina Stanek (Naina) et Alexander Alexander Roslavets (Swetosar) ne méritent que des éloges pour leurs voix saines et bien gérées dans leurs rôles plus courts. Quant à Nicky Spence comme Bajan et Finn (le barde et le mage réunis dans un même rôle), les impositions de la mise en scène ont sans doute pesé pour que ses prestations semblent répétitives, voire ennuyeuses, son interprétation sans nuances et sa voix parfois détimbrée. Pour Alexei Botnarciuc ce sont plutôt les choix du chef d’orchestre qui le mettent en péril, et son rondeau semble bâclé. Dommage.

Le chœur, malmené scéniquement (ce sont des figurants qui prennent en charge les mouvements) et alourdi musicalement, peine à montrer ses réelles qualités.

Si les chanteurs sont applaudis, l’équipe théâtrale est huée. Quand, lors d’un deuxième tour de saluts, le chef d’orchestre essaie d’imposer les deux metteuses en scène, le public les hue tous les trois.

L’idée de programmer une si belle œuvre, fondatrice de tout un pan de l’Histoire de l’Opéra, était excellente. Hélas, les responsables, de la scène et de la musique n’ont pas été à la hauteur. Dommage. Vraiment dommage.

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Frédéric Léolla
9 novembre 2025

Hambourg, dimanche 9 novembre 2025. Rousslan et Ludmila, opéra en cinq actes. Musique de Mikhail Glinka. Livret de Konstantin Bakturin, Walerijan Schirkow, Nestor Kukolnik, Mikhail Godenow, Nikolai Markewitsch et Mikhail Glinka d’après le poème épique d’Alexander von Pouchkine. Mise en scène, décors et costumes, Alexandra Szemerédy et Magdolina Parditka. Vidéo de Janic Bebi. Lumières, Bernd Gallasch. Avec Barno Ismatullaeva (Ludmila), Ilia Kazakov (Rousslan), Alexei Botnarciuc (Farlaf), Nicky Spence (Bajan/Finn), Artem Krutko (Ratmir), Kristina Stanek (Naina), Natalia Tanasii (Gorislawa), Alexander Roslavets (Swetosar), Konradin Seitzer (solo de violon). Chor der Hamburgischen Staatsoper. Philarmonisches Staatsoper Hamburg. Komparserie der Hamburgischen Staatsoper. Direction musicale, Azim Karimov.


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ISSN 2269-9910

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