Alfred Caron — Théâtre des Champs-Élysées, 8 décembre 2025
Robinson chez les SDF : Laurent Pelly et Marc Minkowski en état de grâce
Robinson Crusoé, Théâtre des Champs-Élysées, décembre 2025. Photographie © Vincent Pontet
Il y avait bien longtemps que Laurent Pelly ne nous avait offert une production aussi réjouissante. Avec ce Robinson Crusoé, le metteur en scène semble avoir retrouvé l’état de grâce et la verve de ses grands Offenbach des années 1990-2000, où n’atteignait pas tout à fait sa Périchole d’il y a trois ans. En tous cas, d’évidence, cette production pleine de fantaisie et de charme devrait rester comme une des meilleures de l’année, si l’on en croit le triomphe que lui fait le public, avec de nombreux rappels auxquels réponde une petite reprise impromptue de l’air du « bon garçon » par tous les solistes. Si le premier acte avec son ambiance en camaïeu de gris évoque avec beaucoup de finesse l’intérieur petit-bourgeois et la petite vie familiale des Crusoé, c’est au deuxième que le metteur en scène abat sa carte majeure, en faisant du héros un naufragé certes, mais de la vie et non de la mer, et en mettant sur la scène du théâtre le plus chic de Paris, un campement de SDF devant trois gratte-ciels. Robinson apparait alors dépenaillé et barbu, tandis qu’il fait de Vendredi un petit sauvageon ébouriffé et plein de verve. Mais ce n’est pas tout. Après l’atelier cannibale de James Cocks où l’on dépèce les corps humains sous un gigantesque « EAT », la grande scène du sacrifice d’Edwige voit apparaître, en costumes gris et perruque blonde, une armée de clones d’un célèbre président, sous l’égide d’un grand T majuscule. Leur ballet à la gestique délirante est complété par l’apparition de la victime sacrificielle qui, complètement shootée, se livre à un numéro de danse érotico-sauvage où Julie Fuchs fait merveille, à défaut d’éblouir par sa colorature dans l’air le plus célèbre de la partition « Conduisez-moi à celui que j’adore ». Si la tension retombe un peu après l’entracte, il faut en accuser la faiblesse d’un livret dont le dénouement est un peu trop compliqué et laborieux, car la finesse chorégraphique de la direction d’acteurs et l’invention du dramaturge restent quant à elles au même niveau d’excellence.
Robinson Crusoé, Théâtre des Champs-Élysées, décembre 2025. Photographie © Vincent Pontet
Passé un premier acte, où il parait un peu retenu, Sahy Ratia s’épanouit dans les suivants où il fait valoir avec brio sa jolie voix de ténor lyrique et la tonalité mélancolique de son personnage. Alice Charvet compose un Vendredi vibrionnant dont le timbre charnu brouille parfois l’intelligibilité du texte. Julie Fuchs semble plus à l’aise dans le lyrisme que dans la virtuosité où l’aigu parait décidément un peu tendu. Du côté des seconds rôles, la Suzanne de Emma Fekete n’est pas loin de lui voler la vedette avec une composition pleine de piquant et une musicalité hors pair. En Toby, Marc Mauillon se montre comme toujours aussi savoureux dans son rôle de naïf un rien pleutre et remarquable vocaliste dans son air du premier acte. Julie Pastouraud et Laurent Naouri composent un couple de vieux parents singulièrement touchant et Rodolphe Briand fait une apparition savoureuse en James Cocks armé d’un grand couteau. Le chœur Accentus en grande formation est au-dessus de tout éloge dans ses multiples métamorphoses. La réussite de l’ensemble doit évidemment beaucoup à la direction de Marc Minkowski énergique et vivante, qui délivre une interprétation de grande allure de cette étonnante partition où l’on sent, dans le mélange de styles, entre opéra-comique et grand opéra, le désir du compositeur d’aller vers le genre « sérieux » avec des pré-échos des Contes d’Hoffmann et une volonté de se mesurer aux grandes figures de l’époque. Le prélude l’acte deux qui évoque le voyage de Robinson fait penser au Meyerbeer de L’Africaine, créée deux ans plus tôt, et l’inspiration mélodique du compositeur le dispute en permanence à une orchestration raffinée que mettent en valeur les Musiciens du Louvre. Un must qu’auront la chance de découvrir l’année prochaine, les spectateurs d’Anger-Nantes Opéra et ceux de l’Opéra de Rennes en mai et juin.
Prochaines représentations les 12 et 14 décembre.
France-Musique diffusera l’enregistrement du spectacle le 10 janvier 2026 à 20 h.


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ISSN 2269-9910.

Vendredi 12 Décembre, 2025 2:07