20 octobre 2025 —— Alfred Caron
Le voyage de Komitas. Photographie © Ufrarmstudio - Artur Arzoyan.
Vu par Artavazd Sargsyan, qui l’a imaginé, écrit et mis en scène, ce « Voyage de Komitas », est un portrait en creux, impressionniste en quelque sorte, du père de la musique arménienne. Plus que sa propre musique, on y entend les échos de la traversée de son temps. On y rencontre avec lui Saint-Saëns, Rameau, Koechlin, Debussy, Ravel, Fauré, Poulenc et même les sœurs Boulanger, essentiellement la musique française des années parisiennes du musicien. Au-delà, bien sûr, figurent les compositeurs arméniens que son œuvre a influencés, le célèbre Khatchaturian notamment, mais également Anavesov, Babadjanian, Spendiarian et Stepanyan.
Cette évocation n’a rien de didactique, elle utilise le théâtre pour en faire vivre le souvenir et donner envie d’y aller voir de plus près. Dans la salle, un trublion, le comédien Paul-Alexandre Dubois, vient déranger le début du spectacle et s’immisce sur le plateau jusqu’à devenir le musicien lui-même, prêtant sa voix et son corps à l’ombre de Komitas. Il convoque sur la scène la peinture et la danse pour un spectacle où les arts se complètent et se répondent. Sur « Clair de lune », Aghavni Goletsyan créera en direct un tableau représentant une forêt traversée d’un soleil crépusculaire dont les arbres prolongent la grâce des bras de la danseuse Anaïs Kedikian. Après avoir répondu à la mélancolie debussyste, les troncs deviendront les corps du peuple arménien torturé que le musicien voudra dans un moment de fureur détruire. Impossible bien sûr d’évoquer Komitas, sans que surgisse l’ombre du génocide, cause de sa folie et de son internement à Villejuif en 1935. Quelques vêtements dépareillés, bien pliés, déposés à l’avant-scène par la danseuse, et cette petite boite lumineuse que le moine fasciné et horrifié ouvre sur fond de la musique du Requiem de Ligeti suffisent à le rappeler.
Le voyage de Komitas. Photographie © Ufrarmstudio - Artur Arzoyan.
Au final, sur la dépouille du musicien reviendront danser les ombres de sa vie dans un mouvement pacifié et le son des cloches qui ouvrait le spectacle le conclura. Soutenu par trois excellents musiciens, le pianiste Francesco Gruppo-Maurel, le violoniste Davit Hakobyan et le violoncelliste Thibaut Reznicek, ces deux heures ne laissent qu’un seul regret, ne pas entendre un peu plus de la musique de Komitas lui-même (quatre pièces seulement au programme) et de la voix du ténor Artavazd (interprétant une belle mélodie « La Grue », une prière pour évoquer Komitas archiprêtre et « Bleuet » de Poulenc sur un poème d’Apollinaire pour la Guerre 14-18). Le ténor a laissé la place à un dramaturge et metteur en scène talentueux. À qui le connait quelque peu, vient au final le soupçon que ces « résonances franco-arméniennes » empruntent autant au parcours de Komitas qu’à celui de l’auteur du spectacle.


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Mercredi 22 Octobre, 2025 5:08