Frédéric Léolla, Maison de la Radio, 29 novembre 2025.

Mahler, Britten, Werner et Berio ont rendez-vous au bar de Radio-France

Un programme comme on les aime. Retrouver de bons amis. Mahler, Britten, Werner et Berio : un bon cocktail.

Heloïse Werner. Photographie © D.R.

La Maison de la Radio à Paris propose une série de concerts autour de Luciano Berio. Nous avons assisté à celui consacré à son Laborintus II, précédée à cette occasion par une œuvre de Mahler-Britten et une autre d’Héloïse Werner.

What the wild flowers tell me (Ce que les fleurs sauvages me racontent) est une preuve de comment une réorchestration peut changer l’esprit d’une œuvre. Il s’agit d’une réduction faite par Benjamin Britten du second mouvement de la Troisième Symphonie de Gustav Mahler. Et s’il est vrai qu’on retrouve la pâte mahlerienne, l’œuvre acquiert dans l’arrangement de Britten des résonances bucoliques, aimables, presque charmantes comme un pique-nique à l’anglaise… Au podium, Marzena Diakun se montre attentive, presque méticuleuse avec les professeurs du Philar de Radio France qui ont un plaisir évident à jouer cette partition.

La deuxième œuvre au programme, Siren Suite, était une commande de Radio France en 2024 à Héloïse Werner, auteure et interprète soliste. Cette partition, qui doit à la fois à Claude Debussy (d’où le titre), à Georges Aperghis (dont Werner serait disciple) et à Luciano Berio, est aussi, comme What the wild flowers tell me, de la feel-good musique — étiquette qui n’enlève rien ni au sérieux ni à l’inventivité de la partition. En effet, Werner multiplie les procédés pour créer des atmosphères différentes, fait appel aux onomatopées, au chant lyrique, à la voix parlée et aux sons divers et variés, dans une superbe démonstration de technique vocale qui permet aussi de diversifier les ambiances et d’éviter en tout moment la lassitude du spectateur. Werner fait feu de tout bois, de la musique médiévale à la musique minimale en passant par le post-sérialisme ou la musique concrète, pour arriver à un résultat personnel qui n’exclut pas le sens de l’humour (assez rare dans la musique contemporaine, cela mérite d’être signalé). Et le public lui en sait gré, lui consacrant des applaudissements bien chaleureux.

Le concert finit avec l’œuvre de Berio. Laborinthus II est une des œuvres fondatrices de toute une façon de faire qui a dominé la deuxième partie du XXe siècle. Luciano Berio, qui en quelque sorte était aussi un créateur éclectique, a su conjuguer la clarté du texte (magnifique poésie de Sanguineti) avec l’implication sociale et le sens didactique (héritier des théories brechtiennes sur le sens de l’art dans la société), autant qu’avec les recherches formelles et l’utilisation des nouvelles techniques (la bande magnétique, par exemple). Son sens de l’humour (comme celui de sa femme, la légendaire Cathy Berberian) se fait présent à de nombreux moments, et les interprètes savent l’honorer (comme lorsque la cheffe quitte le podium et se désintéresse de ses musiciens pour se promener en jouant des maracas : toute une métaphore). L’Ensemble Ars Nova, aussi rigoureux que créatif, semble se démultiplier, entre invectives criées, chant lyrique, moments parlés, simples exclamations et tout un arsenal de procédés de la voix humaine, tandis que les professeurs du Philar, deux batteries incluses, et la bande magnétique, soutiennent le récitant (très naturel Serge Maggiani) et donnent corps au tout. À la fin, le public, ravi, remerciera avec enthousiasme.

Frédéric Léolla
29 novermbre 2025

Paris, samedi 29 novembre 2025. Maison de la Radio et de la Musique. Gustav Mahler (orchestration de Benjamin Britten) : What the wild flowers tell me (réduction du deuxième mouvement de la troisième symphonie) ; Heloïse Werner : Siren Suite ; Luciano Berio : Laborinthus II. Avec Heloïse Werner (soprano) ; Serge Maggiani (récitant) ; Yan Brécy (électronique Ircam et conseil informatique musicale) ; Jérémie Bourgogne (difusion sonore Ircam). Ensemble Ars Nova. Orchestre Philarmonique de Radio France. Direction musicale, Marzena Diakun.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.

ISSN 2269-9910

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