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1er décembre 2025 —— Alain Lambert.

Ma langue natale, un road movie bilingue de Rémi Mauger

Ce beau film en normand, et français, vu à Caen en séance publique, m’a replongé dans mes souvenirs. Quand j’avais neuf dix ans en CM2, rue Gibert à Cherbourg, mon instit m’avait repris, sans méchanceté, parce que j’avais dit des souliers neus. Un terme de français régional qu’il ne pouvait laisser passer. Je reconnais qu’il nous a bien fait bosser en français, en bon hussard de la République. Et j’ai un peu oublié alors les termes de patois qui émaillaient notre français de gamins, avec notre accent de Cherbourg, comme disaient les autres. Mon grand-père paternel, qui ne parlait guère plus patois depuis qu’il était devenu citadin, nous sortait parfois, lors d’un repas de famille, le livre de chansons du barde cherbourgeois Alfred Rossel, qu’il entonnait de sa grosse voix. Je me souviens surtout des Goubelins ou de la fête du Becquet, et Su la mé, écrit au début du siècle dernier. Et devenu l’hymne du Cotentin depuis.

Sauf qu’en cette fin d’année 1965 mon instit, André Louis, écrivait dans A gravage, le premier recueil de poèmes en normand de Côtis-Capé une préface méthodologique sur la langue normande et un lexique adapté, c’est-à-dire une façon d’écrire le normand à la fois de manière unifiée et simplifiée, mais permettant à tout locuteur/lecteur du Cotentin de prononcer comme il le parle dans son village. Il devait aussi commencer à écrire Zabeth, premier roman en normand, à paraître quatre ans plus tard. Je les ai retrouvés en participant sept ans plus tard à l’université populaire du Cotentin, où tous deux animaient un cours de langue normande, bien sûr. Que j’ai suivi jusqu’à mon départ en fac à Caen. Puis je les ai recroisés, en particulier le 11 avril 1977, avant que les CRS nous chargent dans la lande de Flammanville, alors que nous manifestions contre la future centrale nucléaire. Jacques Prévert a quitté notre monde ce même jour, à quelques kilomètres, dans sa maison d’Omonville la Petite.

En fait, en voyant le film et après le petit débat qui a suivi, j’ai eu l’impression d’un faux problème entre parler et langue normande. Quant au mot « patois », tout dépend de qui l’utilise. A gravage commence par Men Patouès. De la même manière, les parents du réalisateur dans le film l’utilisent de façon positive et familière. La définition du CNTRL, centre national de ressources textuelles et lexicales, est très claire. LANGUE : Système de signes vocaux et/ou graphiques, conventionnels, utilisé par un groupe d’individus pour l’expression du mental et la communication. Le normand est une langue d’oïl issue en partie du latin, comme le francien, et n’en est pas la déformation, comme voudraient le faire croire les gouvernements jacobins successifs, refusant encore de le considérer comme une langue au niveau de l’éducation nationale, le traitant comme un patois, au sens péjoratif cette fois.

Effectivement l’Atlas linguistique de la Normandie présenté lors de cette soirée semble donner une image des différents parlers dans les années soixante-dix, quand il existait encore pas mal de locuteurs, sans unité apparente à cause de la seule dimension orale. André Louis et ses amis mousquetaires, en faisant en sorte après Louis Beuve et Alfred Rossel que le normand se parle, se lise, se chante et s’écrive, ont passé un cap qui est le nôtre aujourd’hui. En en faisant doublement une langue, porteuse maintenant d’une culture poétique et littéraire.

Grâce à eux, puis à Magène ensuite, association manchote créée en 1989, on peut lire, chanter, écrire et ne pas s’en tenir à la seule diversité des parlers, surtout quand la plupart des locuteurs originels disparaissent. Comme le dit le film, de façon un peu optimiste, des non-locuteurs ont appris le jerriais (le normand de Jersey) pour pouvoir l’enseigner à leur tour aux autres, comme nos profs de langue en fait, et c’est quelque chose qui est lié à la mémoire écrite. Et a permis à tant de langues de se développer. Et de ne pas disparaître.

Le film, dans sa balade normande, nous montre aussi un bout de concert de Magène, le groupe musical, avec toujours la belle voix de Théo Capelle qui a fait s’envoler de leurs pages tant de poèmes peu connus, sur les musiques de Daniel Bourdelès. Autres moments musicaux, les gamins du collège de Bricbé (Bricquebec) improvisant leur rap en normand (Yo !) à tour de rôle. Ou le DJ de la ferme culturelle du Bessin scratchant Su la mé, Si vous voulez voir, Ma langue natale, le road movie bilingue de Rémi Mauger, il passe sur France 3 Normandie jeudi 11 décembre le soir. Il est déjà visible en replay pour quelque temps. Le DVD offrira du bonus en plus, en particulier musical.

Si vous voulez écouter Magène et Théo Capelle, allez sur le site, au moins pour Je syis magnifique [voir notre chronique]. Mais il y a plein d’autres beaux cédés, et livres, souvent bilingues, au catalogue. En projet, «  Le Roi des Écréhous en cours d’enregistrement, plus en français qu’en normand. La chorale, Les Sirènes de la presqu’île, chante en toutes langues, incluant le normand. Et un projet de chansons en normand, en sicilien et italien du Sud (Pouilles…) pour le Millenium normand 2027 ». Nous précise Rémi Pézeril, le fondateur de l’association.

signature d'Alain Lambert
Alain Lambert
1er décembre 2025
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ISSN 2269-9910.

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