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Opéra de Rome, 21 et 22 février 2025 —— Alfred Caron.

Lucrezia Borgia : une mère en quête de rédemption

Opéra de Rome, Lucrezia-Borgia, Lidia-Fridman (Lucrezia-Borgia). Photographie © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma.Opéra de Rome, Lucrezia-Borgia, Lidia-Fridman (Lucrezia-Borgia). Photographie © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma.

De la femme « monstrueuse » imaginée par Victor Hugo à partir de la « légende » noire de Lucrèce Borgia, il ne reste pas grand-chose dans le livret de Felice Romani pour l’opéra de Donizetti. Certes, au prologue, les compagnons de Gennaro qui l’outragent lui rappellent un à un ses méfaits antérieurs et, au final, le piège qu’elle leur tendra pour assouvir sa vengeance perdra aussi ce fils qu’elle semble ne pouvoir assumer que mort. Mais au fond ce qui domine dans l’œuvre, c’est bien l’image d’une femme en quête de rédemption, d’une mère coupable qui ne peut avouer sa maternité ni à son propre fils ni à son entourage, au risque d’être rejetée par le premier et de perdre son prestige face aux autres.

Dans sa mise en scène, Valentina Carrasco a voulu insister sur les contradictions du personnage et son caractère sombre. Elle nous la montre, dans le prélude du deuxième acte, marquant en lettres de sang sur le dos des coupables le mot « orgia », (moins le B que Gennaro viendra ajouter plus tard), cette insulte dont ils l’ont stigmatisée mais, en revanche, elle fait de la disparition de l’enfant, un enlèvement et non un abandon. Deux éléments symboliques dominent sa vision : le masque omniprésent derrière lequel se cache la vraie nature des individus et singulièrement la faiblesse de la femme de pouvoir et le corps maternel vu en gestation au prélude (en échographie) puis en radiographie au final. Les trois décors : voiles rouges pour Venise, rideau noir et argent pour la cour de Ferrare, puis lumière d’or pour le tableau final de la fête chez la Negroni, restent parfaitement abstraits et intemporels et suffisent dans leur esthétique à créer cette ambiance morbide et décadente qui convient à cette histoire.

Opéra de Rome, Lucrezia Borgia, Lidia Fridman (Lucrezia Borgia), Alex Esposito (Alfonso I d'Este). Photographie © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma.Opéra de Rome, Lucrezia Borgia, Lidia Fridman (Lucrezia Borgia), Alex Esposito (Alfonso I d'Este). Photographie © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma.

La production fait alterner deux distributions. La première est dominée par la spectaculaire Angela Meade, parfaitement à l’aise dans cette tessiture de soprano « dramatique » d’agilité, avec un grave solide et des contre notes impressionnantes qui lui valent un triomphe après le grand air final. Son air d’entrée trop ornementé y perd un peu de cette douceur mélancolique que l’on attendrait dans ce qui ressemble à une prière. Mais surtout sa prestation est un peu gâtée par une tenue en scène assez gauche. Lui répond le Gennaro uniformément claironnant de Enea Scala (remplaçant Michele Angelini) dont on attend désespérément quelques nuances dans l’émission mais qui donne une virilité inaccoutumée à ce personnage uniformément lyrique. Le chef a eu la bonne idée d’amplifier le rôle en lui ajoutant, un bel air mélancolique au début du deuxième acte, et une scène de mort dans laquelle le ténor trouve à valoriser une grande expressivité, composés par Donizetti pour des reprises postérieures de l’opéra. Dans le rôle presque épisodique d’Alfonso d’Este et son unique air de bravoure, Carlo Lepore fait valoir son baryton bien timbré là où on souhaiterait plutôt une basse chantante, ce qu’est exactement Alex Esposito dans la deuxième distribution. Ce dernier donne à son personnage vindicatif et sans pitié sa pleine dimension et son affrontement avec la Lucrezia de Lidia Fridman tourne carrément au corps à corps. La soprano, avec une voix couverte, ne possède pas le style belcantiste ni les moyens de sa devancière, mais elle le compense par un engagement scénique qui se révèle singulièrement prenant dans la dernière scène. Passée une introduction où la voix manque un peu de projection, Teresa Iervolino assume avec aplomb son rôle de mauvais garçon et varie brillamment la reprise de son air célèbre du deuxième acte que contrepointe le lamento du chœur masculin en coulisses. Daniela Mack le lendemain n’a pas une voix aussi riche mais elle se tire d’un rôle un peu grave pour elle avec les honneurs.

Opéra de Rome, Lucrezia-Borgia. Photographie © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma.Opéra de Rome, Lucrezia-Borgia. Photographie © Fabrizio Sansoni / Opera di Roma.

La galerie des petits rôles, les compagnons de Gennaro sont remarquablement incarnés comme les deux âmes damnées du Duc et de la Duchesse, Rustighello et Gubetta (Enrico Casari et Roberto Accurso) dont le duo parlando avec chœur semble déjà annoncer certaines formes utilisées par Verdi.

Le chœur, essentiellement masculin, souvent mis à contribution, ne mérite que des éloges. La direction de Roberto Abbado manque un peu de ressort le premier soir mais semble galvanisée par l’engagement sans faille de la deuxième distribution qui porte l’ambiance à un degré d’incandescence salué au final par un public enthousiaste et fait oublier quelques faiblesses dans cette œuvre assez originale mais un peu inégale. 

plume 6 Alfred Caron
Rome, 21 / 22 février 2025
© musicologie.org

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