Aix-en-Provence, 9 juillet 2025 — Frédéric Léolla
Louise de Gustave Charpentier, Festival d’Aix-en-Provence 2025. Photographie © Monika Rittershaus.
Une fille de quinze ou seize ans habite la banlieue parisienne. Elle est amoureuse d’un voisin, un jeune homme de vingt et quelques qui habite une chambre et qui se dit artiste ou poète1. Fille d’ouvriers, les parents ne veulent pas qu’elle sorte avec un garçon qui ne semble pas pouvoir subvenir aux besoins du couple dans le futur2, et puisqu’elle est mineure, ils lui interdisent de fricoter avec. Que doit faire l’adolescente ? Doit-elle à quinze ou seize ans fuir avec son amoureux, trouver refuge à Paris ? Doit-elle continuer à être sage, matant ses pulsions juvéniles ?
Cela vous semble-t-il démodé ? Parce qu’en ce qui me concerne j’ai croisé des centaines d’adolescentes qui pourraient être dans ce cas3…
Pourtant Christof Loy, dans sa mise en scène du Festival d’Aix4, estimant que cela est démodé, ne situe plus l’action en 1900 ni en 2025, mais en 19505. Et puis cela ne se passe plus dans les différents décors prévus dans l’original (espaces communs d’un immeuble de rapport, appartement modeste d’une famille ouvrière, rue au petit matin, etc.), mais dans un seul lieu (encore un décor unique !), la salle d’attente d’une clinique psychiatriq6
cela dénature le livret et — ce qui est encore pir — vide de sens une bonne partie de la partition, notamment les superbes préludes et interludes à vocation descriptive (l’ouvrier qui rentre chez lui, harassé après une dure journée de travail ; la ville qui se réveill ; la ville qui tend les bras ; les amants qui sortent d’un moment d’amour…).
Cela oblige les chanteurs-comédiens à faire un véritable tour de force actoral (sont-ils des fous, ou bien des hallucinations, ou bien les personnages écrits par Charpentie ?).
D’un point de vue purement musical, Elsa Dreisig brille de mille feux : beau volume, joli timbre, maîtrise de son instrument qui lui permettent de varier les nuances, phrasé musical et théâtral qui donne du sens à tout ce qu’elle dit… une très belle Louise. Adam Smith lui donne la réplique en tant que Julien, sa voix est bien moins jolie, son français n’est pas parfait, mais il est courageux, de sorte qu’il brille surtout dans les passages plus influencés par Wagner, comme l’invocation à la liberté du duo du deuxième acte. Sophie Koch, dans le rôle ingrat de la mère, montre un volume important de même que Nicolas Courjal, mais leurs voix épaisses ne rendent pas toujours facile la compréhension du texte.
Dans la ribambelle de chanteurs qui interprètent tous les petits personnages qui peuplent et qui composent Paris, il est juste de saluer la belle intervention d’Annick Massis qui est encore très en voix, ou de Marianne Croux, Carol Garcia, Karolina Bengtsson, Marie-Thérèse Keller et Julie Pasturaud dans le tableau des couturières.
Notons aussi les jolies interventions de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône et de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée. Les Chœurs de l’Opéra de Lyon sont brillants — même si on ne comprend pas bien leur texte — et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon se plie avec ductilité aux demandes de Giacomo Sagripanti.
Le chef italien fait un travail notable. Sans ne jamais couvrir les chanteurs, il est attentif aux différents motifs conducteurs prévus par Charpentier, à tous les détails orchestraux, à toutes les mélodies qu’il fait chanter par son orchestre. Un régal.
Ainsi, Sagripanti, à la tête de l’orchestre, de tous les petits rôles (qu’il réussit à ne pas étouffer dans la masse orchestrale) et d’une formidable Elsa Dreisig, réussit à donner l’essentiel de ce chef-d’œuvre, OVNI 1900, qui s’appelle Louise.
Merci au Festival d’Aix de nous avoir rendu ce titre fondamental, et merci au Palazzetto Bru-Zane, à l’Opéra de Lyon et à l’Opéra-Comique de Paris, comme co-producteurs.
1. Allez ! Imaginons qu’il est au RSA. Dans tous les cas il n’a pas de ressources fixes et ne semble pas disposé à prendre un travail stable.
2. On peut signaler d’autres obstacles qui pourraient s’interposer entre les amoureux, mais qui ne sont pas retenus dans le livret original, des raisons religieuses (bien sûr, nous parlons de toutes les religions, chrétienne, musulmane, sikh ou autre, qui ont souvent tendance à établir la virginité des femmes comme une valeur essentielle) ou de respectabilité (eh oui, la « respectabilité » n’est pas qu’un problème bourgeois, dans le monde ouvrier, ça existe aussi, surtout quand il s’agît de communautés avec des liens forts), ou tout simplement de prévoyance (parce qu’ils voudraient que leur fille sorte avec quelqu’un qui gagnera assez d’argent pour subvenir aux besoins du couple),
3. N’en parlons pas quand il s’agit d’amours homosexuelles : là il n’y aurait que très peu de familles qui « comprendraient » la situation et admettraient aux yeux de tout le monde la relation homosexuelle de leur fils ou fille de quinze ans avec un ou une amoureueuse de vingt et quelques. Et l’amoureux ou l'amoureuse, Louise ou de Louis serait vite dénoncée à la Police.
4. Prévue à l’Opéra de Lyon à la saison 25-26 puis probablement la saison 26-27 à l’Opéra-Comique de Paris.
5?. Pourtant en 1950 on retrouvait tous les enjeux prévus par Charpentier ainsi que tous les personnages du petit peuple parisien prévus dans le livret. Pourquoi donc les avoir éliminés dans cette mise en scène ?! Cette mise en scène embourgeoise l’œuvre originale, comme si, en 2025, il n’y avait plus de petites gens qui se lèvent avant l’aube, comme si en 2025 il n’y avait plus d’ouvriers dont on pourrait raconter les vies et les soucis…
6. Décidément l’idée de la Clinique psychiatrique est un poncif qui revient dans trois productions sur si : pas très inventifs nos metteurs en scène à la mode…
Les soupçons de pédophilie, plus ou moins explicites, reviennent aussi dans deux productions sur six. Nos metteurs en scène à la mode cherchent à scandaliser coûte que coûte, et apparemment la pédophilie c’est un recours bon marché.
Et puis, pour le décor unique, qui est la tendance actuelle, cela oblige les metteurs en scène à tordre le cou aux livrets et les spectateurs finissent par ne rien comprendre.
Frédéric Léolla
9 juillet 2025
Aix-en-Provence, 9 juillet 2025. Cour de l’Archevêché. Louise, roman musical. Musique de Gustave Charpentier. Livret de Gustave Charpentier (et officieusement de Saint-Pol-Roux). Mise en scène, Christof Loy. Décors, Étienne Pluss. Costumes, Robby Duiveman. Lumières, Valerio Tiberi. Avec Elsa Dreisig (Louise), Adam Smith (Julien, le noctambule), Nicolas Courjal (le père, le chiffonnier), Sophie Koch (la mère, la première d’atelier), Annick Massis (la balayeuse), Grégoire Mour (un marchand d’habits, le pape des fous), Marianne Croux (Irma), Carol Garcia (Gertrude), Karolina Bengtsson (Camille), Marie-Thérèse Keller (Madeleine), Julie Pasturaud (Marguerite, La laitière), Marion Vergez-Pascal (Élise, la petite chiffonnière), Marion Lebègue (Suzanne, la glaneuse de charbon), Jennifer Courcier (Blanche, la plieuse de journaux), Céleste Pinel (l’apprentie, le gavroche), Frédéric Caton (le bricoleur), Filipp Varik et Alexander de Jong (les gardiens de la paix), Sharona Applebaum, Marie-Eve Gouin, Sophie Lou, Joanna Curelaru, Alexandra Guérinot, Sylvie Malardenti-Boillot et Liisa Viinanen (Coryphées). Maîtrise des Bouches-du-Rhône. Chef de Chœur Maîtrise, Samuel Coquard. Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon. Chef de chœurs, Benedict Kearns. Direction musicale, Giacomo Sagripanti.
À propos - contact |
S'abonner au bulletin
| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Jeudi 24 Juillet, 2025 2:25